De Maxime NEMO mon parrain j’ai d’abord le
souvenir de mon arrivée dans ma famille d’adoption dans la
grande maison de famille en bord de Loire un matin de juillet 1953 dans
une voiture noire qui me déposa à l’ombre d'un
marronnier déjà imposant et d'un séquoïa
déjà bicentenaire.
Dans ce lieu d’une enfance et d’une adolescence insouciante
et bénie, ce ne sont que succession de grandes personnes qui
séjournent en été et que j’attendais avec
impatience au portail du logis en effervescence, celui qui avait
été la "folie" de Marie Joseph Trébuchet(oncle
de V.Hugo) puis rebaptisé au début du
siècle « Logis Chamborant »
par un Commandant du 8è hussard qui en fut le locataire jusqu'en 1945. Il y
avait aussi la maîtresse des lieux en la personne de "Cathoune"
une chatte noire aux yeux d'agathe pour qui M.Nemo composera ce poème à sa mort en 1963.
Ensuite
vinrent de longues discussions dans le séjour dont je saisissais
des
bribes sur Rousseau, Bergson, Valéry,(dernières photos de Valéry 1 - 2) Teilhard de Chardin,(avec qui nemo entretiendra une correspondance suivie autour de la "Noosphère") les
échos de la dernière mise en scène
parisienne et parfois des déclamations d’Hamlet, ou du
Misanthrope, de Cyrano ou de la Maison de poupée d’Ibsen
au grand salon. Autant d’auteurs dramatiques ou poètes
tels que Verhaeren,(Conférences en Angleterre et en Belgique en 1914) Verlaine, Samain que Maxime avait lui-même
déclamés dans son enfance au début du
siècle devant la cour d’Angleterre à Cimiez devant
la Reine Victoria en Avril 1898.
Lors de son mariage en 1909, il est consigné que Maxime Nemo
alors âgé de 21 ans épouse Antoinette Pègues
et qu'il est professeur de diction à Dijon et
antérieurement à Rodez.
De son talent oratoire il reste fort heureusement une voix
gravée sur bande magnétique et réécouter
ces documents uniques c’est revivre la scansion d’un
époque initiée par la grande Sarah Bernhardt et
immortalisée par un Jouvet .Le ton mélodramatique qui a
enflammé la Comédie Française et le
Théâtre National de l’Odéon n’aura pas
laissé indifférent le jeune Nemo qui a n’en point
douter aura entendu le grand tragédien Léon Segond dans
Andomaque de Racine (Le Mémorial d’Aix 21 mai 1922) et surtout Louise LARA de la Comédie Française.
N’oublions pas que le Maxime NEMO est né en 1888 et
qu’en 1900 alors qu’il a 12 ans, ressembler à Edmond
Rostand était le rêve de tous les jeunes gens pour peu
qu’ils eussent le goût de la distinction et de la
« classe »
On sortait aussi l’électrophone pour écouter Bruno
Walter ou Furtwangler dans le Parc, ce qui ne manquait pas
d’intriguer les voisins. Parmi les figures qui marquèrent
les étés de la Crétinière, il faut citer le
voisin Gérald Van der Kemp qui deviendra plus tard pendant un
quart de siècle le Conservateur en chef de Versailles, puis
Emil.M Cioran que Maxime a rencontré au Café de Flore et qui l'a introduit à son arrivée dans
les cercles littéraires et philosophiques et qui resta le
fidèle des fidèles, le misanthrope fantasque
,l’éternel hypocondriaque avec lequel un tour de France
à bicyclette après la guerre ou une promenade sur les
lacs italiens devenait une épopée, Henri Rollan de
la Comédie Française, Gilbert Houel musicien et
photographe, puis des figures parisiennes dont les noms m’ont
échappé. Ce sont surtout ces longues soirées de
rires et de bonheur autour de la cheminée sans
télévision et sans téléphone.
La figure du patriarche était auréolée d’un
mystère quand il s’enfermait de longues heures au salon
pour taper des textes sur sa Remington infatigable. Je l’ai suivi
dans une de ses nombreuses conférences à Tours mais
jamais en Allemagne, en Angleterre, en Italie, en
Suisse…Voilà notre autodidacte « Citoyen du
Monde » de surcroît, qui passe les frontières
à l’invitation de ses amis rousseauistes. Les livres
dédicacés arrivaient au nom de l’Association Jean
Jacques Rousseau alors par la poste et complétaient
l’imposante bibliothèque scindée entre celle de
l’avenue Ledru Rollin à Paris et celle de « la
Crétinière » près de Nantes.
C’est le journaliste Claude Sérillon alors jeune pigiste
à Presse Océan qui a fait la plus belle interview du sage
des bords de Loire dans un article très évocateur de
l’atmosphère qui régnait au
« Château » comme disaient les
voisins.
Une grande activité marqua l’année 1962 avec le
250è anniversaire de la naissance de Rousseau et je
commençais à percevoir le rayonnement du parrain sur les
sphères européennes dans son combat pour ramener les
cendres du grand Jean Jacques à Ermenonville selon les souhaits
de celui-ci , alertant de Gaulle et son ministre de la culture
André Malraux, souhaitant faire à cette occasion du
Château d’Ermenonville un vrai centre culturel, bataillant
pour convaincre des mécènes et toujours
sollicité pour des conférences ici et là.
En bref un homme toujours en éveil, passionné, ouvert
à l’autre et capable d’engager de longues
conversations sur Schopenhauer avec son jardinier ou sur le retour
à la nature avec un berger Corse lors de ses voyages mais aussi
sur la condition humaine en Espagne franquiste avec une
aristocrate castillane en son Parador de Cáceres.
Mais d’où vient cet homme au pseudonyme qui lui a
été donné très tôt par son
père adoptif Gilbert Baugey , lui-même étrangement
qualifié de « représentant de
commerce » puis d’ « artiste
dramatique » par l’Etat civil de Tours, de Dijon
et de la Roche sur Yon où il est
décédé ?
Maxime NEMO nait à Francueil près de TOURS en 1888 sous
le nom de Maxime Georges Albert BAUGEY de Georges Albert BAUGEY qui
déclare le reconnaître et de Mélanie RENOU.
Peu de choses sur son parcours sinon qu’il passera peu de temps
sur les bancs de la Communale jusqu'à l'âge de 8 ans en
1896 puis dès l'âge de 9 ans, il fait vivre ses parents
en déclamant des vers et qu’on exhibe l’enfant
prodige sur la Côte d’Azur entre casinos et hôtels,
le bouche à oreille faisant le reste. J’ai retrouvé
un programme
donné en 1898 alors que le jeune NEMO n’a que
10 ans ! (on a ainsi une idée des auteurs à la mode que
le jeune prodige savait restituer de mémoire) Il est
présenté à Sarah Bernhardt, (qui triomphe dans l'Aiglon d'E.Rostand) à Pierre Loti,
aux acteurs Jean Clarétie et Coquelin l'Aîné. Il
manque hélas les témoignages écrits et compte
rendus de presse de cette époque: en 1905, il a 17 ans et se produit au Casino d'Arcachon.
Quand il perd en février 1908 son père Georges Albert Baugey artiste dramatique qui lui a fait rencontrer ses "princesses"
inaccessibles , il a juste 20 ans et très vite il
épouse le 22 octobre 1909 à Dijon Antoinette PEGUES
qui l'accompagnera dans ses lectures dramatiques,genre
très prisé et popularisé par E.Verhaeren,
J.Copeau, L. Jouvet, JR. Bloch, J.Romains,Ch.Vildrac et bien d'autres.
N'oublions pas qu'à l'époque on parlait de "Conservatoire national de musique et de déclamation"
C'est dans cette visée qu'il crée en 1920 "l'Ilôt" (Centre d'action intellectuelle) qualifié de "petit espace mais
libre" et baptisé par Mme L'Hopital: "fêtes de l'esprit"qui
se propose de Connaître le Beau d’en
répandre la connaissance, d’en exalter la vertu… et
c’est pourquoi Nemo réunit autour de lui artistes et
écrivains pour tenter cet effort. Parmi les temps forts on
retiendra quelques cycles : - 1921 Verhaeren (Dijon),- 1922 Baudelaire
(Alger) - 1923 Verlaine (Aix) - 1924 Albert Samain et les
symbolistes (Alger) - 1925 Henrik Ibsen (Laval)-(Bordeaux) 1933 La Tétralogie de Wagner . En novembre 1937 sur "Radio Paris", Nemo enregistre cinq de ses conférences sur Eschyle, Sophocle, Shakespeare, Molière et Bernard
Shaw.
Une parenthèse sur son passage à Aix en Provence avant la
guerre autour du "Château Simone" où il était locataire à Meyreuil et du "Château Noir" qui pu influencer
sa connaissance de la littérature et de la peinture allemande
car une importante colonie d'artistes allemands et autrichiens y
avaient élu domicile autour de Krantz et d'autres
personnes, liées quant à elles aux habitants du
Château Noir. Les proriétaires Joël et Gaby Teissier
y invitaient de nombreux amis qui partageaient leur exil entre
Paris et le pays d'Aix, Léo Marschütz né le 29 aout
1903 est arrivé en 1928 avec son amie bavaroise Anna Kraus
à Château noir (portant souvent une musette), il est grand,
mince, dynamique; il a un accent rocailleux. il aime les rencontres
entre camarades comme André Marchand et Tristan Tzara.Il a pour
voisins son propriétaire le dessinateur Joël Tessier et son
épouse Gaby, belle brune, l'homme de lettres sarrois Gustav
Regler,le futur critique d'art John Rewald qui avait grandi à
Hambourg, les peintres Laves, André Masson,
Frédéric Nathanson. Les propriétaires
invitent toujours une foule d'amis et passent de charmantes
journées en compagnie des peintres du "Château Noir" comme
Kaufmann, Sagave, Goetzfreid, Konrad Wachmann ou Robert
Altman....Léo Marschütz quant à lui se terrait dans
un poulailler du "Château noir" pour prévenir une
éventuelle arrestation.
La période de guerre reste assez confuse et il convient de
repérer dans la correspondance de Nemo, les nombreuses adresses
qui varient sans oublier la poste restante. On pourra s'étonner
de trouver ici ou là des échanges ou des réponses
polémiques aux journaux de l'époque comme "les Nouveaux
Temps" de Luchaire.Pourquoi le fondateur des « Nouveaux Temps
» est-il devenu le collaborateur vénal des années
noires ? Ce journaliste connu, qui rêvait depuis longtemps
d'avoir « son » quotidien, qui avait milité
très tôt en faveur du rapprochement franco-allemand,
pensa, l'Occupation venue, que le moment était arrivé de
réaliser le rêve de sa vie : être le « patron
» d'un journal qui défendrait la politique
française d'Abetz.
Nemo pendant l'Occupation sans vraiment militer est très proche
de Jean Richard Bloch avec qui il échange ses idées mais
qui était-il ? Jean Bloch naît en 1884. C’est au
lycée Condorcet qu’il prend conscience de son
identité juive à l’occasion des bagarres qui
ponctuent les différents épisodes de l’affaire
Dreyfus.
Il est à Rouen en 1902-1903 pour son service militaire,
où il se lie avec Roger Martin du Gard et Louis Massignon. On le
retrouve ensuite à la Sorbonne, où Charles Seignobos lui
enseigne l’histoire.
Il s’enthousiasme en 1905 pour la révolution russe. Le
voilà professeur d’histoire au lycée de
Lons-le-Saunier en 1907-1908, puis au lycée de Poitiers à
partir de l’année 1908-1909, s’installant 2 rue
Saint-Jacques avec sa femme Marguerite,( soeur d’André
Maurois).
Il quitte l’enseignement en 1910 pour se consacrer à
l’engagement politique et à l’écriture :
théâtre, contes, romans… et journalisme,
créant à Poitiers la revue "L’Effort", qui
démarre en juin 1910 et deviendra "L’Effort libre"
début 1912, jusqu’à sa fin en 1914 [1]. Il signe
bientôt ses articles Jean-Richard Bloch et prône un art
révolutionnaire qui servirait le peuple.
Des courriers entre Bloch et Nemo mériteraient une analyse plus
approfondie sur les valeurs de l'Occident entre autre.
Il loue La
Mérigote en 1911 puis l’achète en 1913.
Il s’engage en 1914 et est blessé gravement à trois
reprises : dans la bataille de la Marne, en Champagne puis à
Verdun.
Il collabore après-guerre à "La Vie Ouvrière",
à "L’Humanité" ainsi qu’à la revue
"Clarté". Il s’éloigne cependant du parti communiste
vers 1923-1924 et lance en 1923 la revue "Europe" avec le concours des
éditions Rieder dont il est directeur littéraire. Romain
Rolland aimerait le voir diriger la revue, mais Bloch se contente
d’en être un des piliers, afin de pouvoir se consacrer
également à son oeuvre romanesque.
La Mérigote est dans les années 1920 sa résidence
secondaire, puis sa résidence principale entre 1929 et 1937.
La maison accueille Georges Duhamel, Pierre Abraham, Aragon, Pierre Jean Jouve et
Vildrac, Copeau, Jules Romains, Diego Rivera…
On retrouve autour de Jean Richard Bloch tous les intimes de Maxime
Nemo qui vont orienter ses choix idéologiques et surtout
littéraires.Il suffit de lire ses articles dans les revues
Clarté (de 1921 à 1928) et surtout Europe à partir
des années 40 : c'est encore Jean Richard Bloch directeur de
collection et directeur littéraire qui l'introduira
auprès de l'éditeur de la revue Europe, Rieder pour
publier ses deux romans: "le Dieu sous le Tunnel" dont le héros
Raphaël Lévy est juif et dont l'action se situe à
Munich,où il nous propose un coup d'oeil sur l'Allemagne de 1925, et "Julot
gosse de rêve" qui paraît en 1930 dont Pierre Mazeydat a
fait une longue critique dans "le Journal des Instituteurs" en mars
1931( retrouvée grâce aux services des archives de l'INRP)
Maxime Nemo a-t-il été proche de Robert Aron et d'Arnaud
Dandieu et des jeunes partisans d'"Ordre Nouveau" qui dans les
années 30 avaient le mérite selon André Rousseaux dans l'Aurore, de "préciser les idées" tout souhaitant que "les animateurs de ce mouvement achèvent de recouvrer la vérité sur la connaissance de l'homme."
Mais comment va-t-il devenir "rousseauiste" me direz vous ?
Là l’enquête commence et le passage de
l’artiste dramatique amateur auprès de Sarah Bernhardt
dans l’Aiglon à la jeune "Société JJ
Rousseau" de Montmorency en 1949 reste un mystère.
On trouve une trace des rôles d'un "Nemo" aux côtés de Louis
Jouvet au théâtre populaire Saint Antoine en 1913 et
de Copeau au Vieux Colombier ainsi qu'une abondante correspondance.(sur les débuts de Jouvet au théâtre 1910-1924)
Le poète Emile Verhaeren d'abord à qui il consacrera des
conférences et dont Romain Rolland évoquait le profond
attachement dans une lettre à JR Bloch lors de sa disparition le
29 novembre 1916. "parmi tous les écrivains de ma
génération, il était le seul coeur que j'aimais.
malgré nos différences de pensée, nous avions et
nous aurions toujours gardé l'un pour l'autre nos sentiments
affectueux. pauvre vieux !"
Paul Valéry- auteur de"Regards sur le monde actuel" (Stock 1931)- , Teillard de Chardin, Jean Richard Bloch , Jean
Guéhénno, Jean Paulhan, Charles Vildrac, Georges Duhamel,
Jules Romains, André Gide puis Maurice Genevois, Mircea Eliade,
Emile Cioran ,Jean Rostand, Jean Fabre de l'Institut en bref tous ceux
qui vont l'accompagner dans la création des "Amis de Jean
Jacques Rousseau" puis "Société JJ Rousseau" et enfin en
1949: "l'Association Jean Jacques Rousseau".
Notons au passage que ses
échanges avec Théodore Besterman datent de 1948 et qu'on
y trouve aussi des dédicaces du "Rousseau : "Samotnosc I
Wspolnota" du Prof Bronislaw Baczko de Varsovie (daté de 1964)
De sa toute première rencontre avec l’auteur des
Confessions ou de l’Emile pas de traces pour le moment sinon dans
ces valises de manuscrits et de correspondances qui restent à
déchiffrer et surtout dans son "Journal" en deux parties
1925- 1940 puis 1940-1945.
De la liste de livres et de revues restitués à sa demande
par sa première épouse Antoinette Pègues le 12
février 1938, le seul livre de Jean Jacques Rousseau est
"Lettres de la montagne" .Cependant ces livres et revues ont
été perdus lors des nombreux déplacements et
"caches" de notre homme devenu insaisissable pendant l'Occupation.
Un article inédit intitulé "sous forme de
prédictions" analyse la géopolitique au lendemain de
l'attaque de la Russie par Hitler le 23 juin 1941, on peut relever
aussi un exposé de Giraudoux sur les hostilités en
Pologne en date du 7 septembre 1939 preuve que Nemo suivait de
très près les événements dramatiques de
cette période jusqu'à une réponse sur les
élites et la débacle de 40 à Jean Luchaire rédacteur du très
collaborationniste "Nouveaux Temps".
Son étroite amitié avec JR Bloch et ses articles pour les
revues "Europe"(P.Abraham) et "Monde"(H.Barbusse) ne laissent pas de doute sur son engagement en marge des
débats du Congrès International des Ecrivains de 1935, son indéfectible admiration pour Romain Rolland et Charles
Péguy dont on relira la correspondance dans "Une amitié
française". Voici comment Max Gallo analyse la situation
à partir des années 30 puis dans l'immédiat avant
guerre: "Jean Richard Bloch se tourne vers le communisme dans lequel il
a investi toute sa foi dans "l'universalisme", "follement
peut-être".
Mais face au racisme,au nazisme, à la guerre en Espagne,aux
capitulations des démocraties devant les exigences d'Hitler, JR
Bloch s'engage avec sa foi.Il écrit dès 1940 à
Vercors, à propos de la débâcle française:
"on ne peut pas détruire un peuple, et il est là, il se
retrouvera, il se retrouve déjà, l'ennemi est
déjà vaincu." Vercors commente : "huit grandes
pages de belle écriture souple et puissante. huit pages
d'espérance" , la première fenêtre sur
l'espoir. J'ai retrouvé cette belle lettre du 9 septembre 1940 écrite de "la Mérigote"
à Maxime NEMO: quel style, quelle lucidité et quelle
leçon de civisme de celui qui se définit comme "non
aryen".
Si NEMO ne s'est pas engagé directement avec le Parti il a
écrit sur le combat prolétarien dans la revue "Monde" d'Henri Barbusse en 1928 et 1929 et a entretenu une correspondance amicale avec Bloch
sur le sujet , qu'on en juge par cette Lettre réponse de JR Bloch
en date du 17 octobre 1940. les débats sur
éternel/temporel, esprit/politique, royaume des cieux et royaume
terrestre animent leurs échanges.
On retrouve à Montmorency en 1946 Maxime NEMO comme "homme de lettres" comme organisateur du "Comité du Montlouis"(1946) puis de "la Société Jean Jacques Rousseau" (1948) cette même Société deviendra l'Association Jean
Jacques Rousseau" dont les Statuts sont déposés au JO du 21 décembre 1949.
On pourra se remémorer l'énergie infatigable qu'il a déployée pour les cérémonies du 250è anniversaire de la naissance de Rousseau en 1962 et notamment l'organisation du Colloque de Royaumont sur
"JJ Rousseau et l'homme moderne" (dont on notera le discours d'ouverture par Stéphane HESSEL de l'Unesco) et la mise en place du Centre Culturel
JJ Rousseau d'Ermenonville sans oublier le seul chantier
inachevé, qui lui tenait tant à coeur, le retour des
cendres de Jean Jacques à Ermenonville en Seine et Oise, selon
les souhaits du 'promeneur solitaire'.
En avril 1975 il rédigeait à quelques semaines de sa mort
une lettre au Haut commissaire à la Diffusion de la Langue
française où il livrait son bilan et faisait part de ses
projets éditoriaux: il songeait en effet à mettre un
terme à 87 ans à sa trilogie : après "l'Acte de
Vivre" , restent deux manuscrits inédits: "Réplique
à l'abime" et enfin "Occident terre de l'homme"
Curieusement c'est Philippe Némo, professeur qui publiera 30 ans
plus tard chez Albin Michel « Qu'est-ce que l'Occident ? »
dans une brillante analyse de l’Occident échappant
à la fois à l’historicisme et à
l’essentialisme.
En relisant les nombreux hommages reçus par sa veuve Yvonne Nemo
aux lendemains de ses obsèques au Père Lachaise on est
frappé par la grande émotion qui émane de ces
courriers du coeur, pétris d'anecdotes, toutes plus
émouvantes les unes que les autres. Parmi la centaine d'hommages
j'ai relevé la lettre du Pr Horst Schumacher, éditeur,
traducteur, professeur de l'Université d'Heidelberg qui
était très lié à Nemo et que j'ai
rencontré plusieurs fois à Nantes.
* lettre de Horst à Yvonne Nemo. (1975)
Il faudrait aussi lire les nombreux hommages au premier Nemo, celui de
l'Ilôt, qui a réellement été un passeur et
souvent un éveilleur de textes devant des publics scolaires ou
universitaires à travers toute la France d'avant guerre.
* lettre des enseignants et élèves d'Ecoles Normales Supérieures qu'il a su charmer conquérir par son talent d'orateur.
Une anecdote pour finir, je découvre en 1990 soit 15 ans
après le décès de mon parrain une curieuse
enveloppe qui lui était adressée et venant
d'Algérie. Je l'ouvre et trouve un message d'un ami
algérien rencontré sur le littoral Corse dans les
années 70 et qui se souvenait de la rencontre et surtout de la
longue conversation avec l'homme affable et chaleureux. Le plus étonnant est que cet inconnu
souhaitait poursuivre cette conversation comme si c'était hier.
Hélas j'ai du répondre à cette lettre en
annonçant le décès de mon parrain depuis 1975 et
que le dialogue devait hélas être interrompu.
Ces nombreux dialogues entretenus avec les intellectuels engagés
de son temps tant ,avant que pendant et après guerre, se
poursuivent grâce à l'exhumation de sa volumineuse
correspondance dont il manque parfois les propres messages de cet
infatigable passeur d'idées ( il garda parfois et fort
heureusement des ébauches ou même des copies de ses
propres lettres).
Il reste bien sûr dans cette évocation trop superficielle
des zones d'ombres et des lacunes dues à l'absence de sources
notamment :
* la période de "l'enfant prodige" poussé par son
père tel un petit Mozart de la diction entre les dix
années 1898 et 1908 dont on ne conserve que peu de traces sinon
qu'il a été présenté à Pierre Loti (1850-1923) , à Coquelin aîné (1841-1909) , à Sarah Bernhardt (1844-1923) et à l'acteur dramatique Jules Clarétie (1840-1913)
* le flou biographique entre 1908 à la mort de son
père- il a 20 ans- jusqu'à sa mobilisation le 19 décembre 1914("réformé,classé dans le service auxiliaire").
- sans doute un séjour en Allemagne qu'il connaît bien
puisqu'elle servira de cadre à son premier et singulier roman: "le Dieu sous le tunnel" (1927) et des lectures de poèmes et d'essais divers qu'il relatera dans ses essais et articles.
* un
retrait de la vie publique après son mariage en 1909,entre
Cannes et Annecy
- un passage en 1913 pour la saison d'été du théatre du Château d'Eau à Paris aux côtés de Jacques Copeau et de Louis Jouvet pour 2 pièces : "Monte Cristo" drame en 5 actes et 9 tableaux de Dumas dans le rôle de Pamphile; "les Gaietés de l'Escadron", revue de la vie de caserne en 3 actes de G.Courteline avec Nemo dans le rôle de Ledru et enfin dans le rôle du Bossu. dans "Crime impossible"
drame policier de Gallo et Valdour .Sur cette période il
est symptomatique de relire les débuts au théâtre de
Louis Jouvet, né lui aussi en 1888 par Paul Louis Mignon, les
trajectoires et passions sont assez similaires jusqu'à ce que
Jouvet reprenne le Vieux Colombier en 1924 lors de l'éloignement
de Copeau près de Beaune en Bourgogne.
- sa période militaire de 1914 à 1918
peut-être imaginée si l'on relit les Journaux de Jouvet,
de Romains et de Copeau: l'état d'esprit après l'affaire
Dreyfus en 1898 , tous décrivent avec beaucoup de détails
les positions de chacun, dont Charle DULLIN.
Copeau fonde la NRF en 1909 ( l'année du premier mariage de NEMO à Dijon ) et en devient directeur en 1910.
"Dans ce groupe, dont on peut dire
que pendant 10 ans au moins, il a donné le ton à toute la
production de la jeune littérature française, je voyais
régner la haute culture, l'intelligence critique, l'imagination,
la loyauté intellectuelle, la parfaite honnêteté
professionnelle. Et ce sont ces vertus là que j'ambitionnais
chaque jour plus ardemment de restituer au théâtre
français".
Si Maxime Nemo s'est nourri de "la Revue de Paris" de 1905 à 1910, c'est bien la Nouvelle Revue Française et le Mercure de France qui occupent une place à part dans sa Bibliothèque.
* la longue période de l'occupation où Nemo change sans cesse d'adresses mais écrit beaucoup sur la débacle depuis Chambéry , le rôle des intellectuels en commentant dès 1927 Julien Benda
(1867 -1956) .Le grand nombre de dédicaces d'ouvrages par des
auteurs aussi divers que les poètes Verhaeren, Vildrac,Chennevières,Vendel, que les philosophes Bloch,
Lévi-Strauss, Eliade, Berque, Annie Lebrun, scientifiques
J.Rostand, Jean Fabre, Ménétrier,J.Monod ou artistes comme Picard le Doux
montrent l'étendue de ses réseaux d'amitiés
fidèles.
On a quelques traces de son passage à "la Mérigote" (que venait d'acheter Jean Richard Bloch près
de Poitiers), maison qui vit passer dès 1911, Pierre Jean Jouve,
Jacques Copeau, Charles Vildrac, Elie Faure,Georges Duhamel,Jules
Romains, Georges et Ludmila Pitoëff, Diego Rivera, André
Maurois, Maurice Constantin-Weyer, Louis Aragon..
.puis
à Montmorency au 10 de la rue Jean Jacques Rousseau, à
Troyes, à Tréboul enfin à Aix où
réside son épouse qu'il quittera en 1935.
Il aimait
parcourir la France à bicyclette comme E.Cioran et multiplie ses
lettres depuis les chambres d'hôtel à sa nouvelle compagne rencontrée à Laval en 1935. Un texte qui raconte avec humour sa démobilisation le 6 mars 1939
est un prétexte à évoquer ses voyages à
travers le sud ouest qu'il aimait tant et où il rencontrera Louis Chirac alors Directeur d'Ecole à Brive (Corrèze).D'autres textes inédits dont la Débâcle et Prédictions
évoquent ses tournées de Chambéry à
Bordeaux et de Nantes à Grenoble où il se liera
d'amitié avec le Doyen de l'Université René Grosse.
En 1972 paraît à la pensée Universelle son essai
exigeant sur l'Acte de Vivre ; La revue Pharaons N°15 de la Voix
des Poètes animée par Simone Chevallier dans un
numéro spécial "Jules Romains: la ferveur fraternelle "
en fait un compte rendu sous la plume de l'Arbitre intitulé: Unanimisme et Conaissance de soi.
On peut lui rendre un dernier hommage en se recueillant sur sa tombe au Père Lachaise à quelques allées de Chopin, où
il repose depuis 1975 auprès de son épouse Yvonne Nemo
(née Bretonnière) qu'il épouse (enfin) à
Paris le 17 février 1968 à la Mairie du XIè à l'âge
de 80 ans ! Ses témoins les amis de toujours : G.Houel et
E.Cioran.
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