Sous forme de prédictions…
N’ayant pas le goût des notations fréquentes, il y a
un an que je n’ai rien inscrit sur mon Cahier. Encore,
aujourd’hui je ne me risque à donner cette forme à
mon jugement qu’afin de pouvoir, un jour, vérifier
l’exactitude (ou l’erreur) de ma prévision, toute
intuitive.
L’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie
soviétique et Hitler vient de prononcer un discours dont la
presse française donne le compte rendu in extenso.
Le moins qu’on puisse dire de ce discours c’est
qu’il décèle un embarras, d’ailleurs
compréhensible ! On sent que la pensée du chef
allemand hésite à se préciser – et cela se
conçoit ! Pour la deuxième fois au cours de
cette guerre, l’orientation donnée à la
politique allemande est si radicalement renversée que
l’esprit de l’homme ordinaire doit être
bouleversé.
Ces renversements sont évidemment fort dramatiques ; reste
à savoir s’ils se peuvent aisément
assimiler !...
Fin Aout 39, le nazisme opère une conversion doctrinale
absolue, en provoquant cette entente avec la Russie qui laissa pas mal
de gens à l’esprit droit, ébouriffés.
L’Histoire dira plus tard si la Russie – ses dirigeants,
bien entendu- n’ont pas commis une faute majeure !
A partir de ce moment le nazisme ne parle plus de la menace que fait
peser sur le monde occidental, le marxisme russe ; à partir
de cet instant, la notion de la culture humaine et des biens
spirituels qu’elle conserve, ne sont plus en jeu, on appuie
au contraire sur les proximités doctrinales ou de faits auxquels
aboutissent les deux régimes : le russe et
l’allemand.
Cette « fraternité spirituelle » conduit
à la campagne de Pologne, l’Allemagne attaquant à
l’Ouest alors qu’à la fin de la campagne et
quand les risques sont infimes, la Russie attaque les quelques
divisions polonaises qui se trouvent sur la frontière est. La
Pologne est « fraternellement » partagée.
Quelques mois après, attaque, mais cette fois
opérée par la Russie seule, de l’infime position
finlandaise. La Finlande étant un protectorat allemand. Le Reich
assiste à la défaite fatale de son protégé
et en endosse la responsabilité peu glorieuse.
Six mois après, la France est écrasée et
l’Allemagne donne l’assaut à l’Angleterre. En
dépit des destructions opérées, elle échoue.
Les péripéties se succèdent, mais en dépit
de succès considérables, le débarquement des
forces allemandes en Angleterre est différé, et de ce
fait le résultat final n’est pas obtenu.
Soudain au matin du dimanche 22 juin, j’apprends que la Russie a
déclaré la guerre à l’Allemagne. Je resterai
la journée entière sous l’impression de cette
nouvelle stupéfiante, Le soir il se confirme que la
déclaration de guerre est l’œuvre non pas des
Soviets, mais de l’Allemagne elle-même ! Dès
lors, les perspectives sont tout autre, ou plutôt il existe des
perspectives.
Le nazisme (ou fascisme) a pour essentielle mission de s’opposer
à la lutte des classes décrétées par le
marxisme. Il veut faire entrer les fonctions antagonistes dans le cadre
national pour faire éclater l’idée de nation
créée de toutes pièces par la Révolution
Française.
Fort de cette conception du rôle des classes divergentes,
(….) groupe : les éléments cultivés du
pays qui savent le sens de la lutte provoqué par
l’antagonisme entre classes et en plus les membres de
l’entreprise industrielle moderne qui travaillent soit comme
patrons ou dirigeants soit comme techniciens, soit comme ouvriers.
Par l’action régulatrice qu’il prétend
exercer, L’Etat nazi qui a besoin de paix à
l’intérieur (à cause de sa politique
extérieure) – alors que la vie démocratique,
basée sur les partis, a besoin elle de paix extérieure
mais de luttes internes, (justifiant les partis !) L’Etat
naziste préside à l’organisation du travail, la
juridiction de ce travail relevant non d’une des parties
engagées dans l’action productrice, mais d’un
pouvoir qui domine les particularités internes.
Doctrine à coup sûr heureuse si on admet sa
sincérité et le moment historique où elle est
située. Elle a pour fins, de mettre un terme, au moins
momentané – aux interminables conflits nés de la
croissance du travail industriel.
Ce parti national socialiste peut sans démentir l’un de
ses éléments essentiels, se présenter sous
l’aspect d’un parti conservateur ou d’un pouvoir
révolutionnaire. Il assure un sort à l’ouvrier et,
tout en lui enlevant une liberté abstraite et inefficace, il le
fait entrer dans une organisation concrète.
Il exerce sur l’industriel un contrôle qui peut être
bienfaisant, puisqu’il a pour effet d’empêcher le
désordre provoqué par la liberté infinie du
libéralisme. Il peut donc, sans mentir, se présenter
à l’observateur impartial comme un principe doué de
dynamisme et de nécessaire conservation. Il peut
revendiquer le terme, révolution, comme lui appartenant, ce
terme qui d’ailleurs est rarement défini et rarement
pensé dans sa réalité.
D’aout 39 à ce 22 juin 41, le Reich a incliné
dans le sens de la pesée révolutionnaire en indiquant
qu’il luttait, moins contre l’Angleterre que contre le
Capitalisme. Il espérait rallier à l’Allemagne,
tous les mécontents que les excès du régime du
libéralisme économique avaient multipliés.
Si l’assaut donné à l’Angleterre avait
été effectif, il est probable que le sentiment
révolutionnaire, c’est à dire l’impulsion
plus socialiste que nationaliste, l’aurait emporté
A l’intérieur du parti, entrainant un continent dans son
ascension. Peut-être aurions nous assisté à un
renouvellement de la société européenne, à
un rajeunissement des cadres dirigeants. C’est à coup sur,
ce qu’entrevoyaient les partisans des
intéressés de la collaboration proposée. Ils
tablaient moins sur une position actuelle que sur des perspectives
à provoquer après un rejet du conservatisme
libéral désuet.
Avec l’échec de la guerre allemande vis-à-vis de
l’Angleterre, avec le renversement, vieux de 24 heures, cette
prévision passe à l’arrière plan. On sent,
tout à coup, que le Reich se trouve dans une position dont il
reconnaît l’embarras car lui faut, en dépit de ses
victoires indéniables, donner une conclusion à
l’aventure, et une conclusion qui ne démente pas ses
triomphes. Seule, en effet, un triomphe certain rendra possible
l’adhésion des masses populaires qui ont souffert et vont
souffrir encore ! Sans doute est-ce devant ce problème de
la fin que se trouvent les dirigeants du monde : Allemagne,
Angleterre, Amérique, France et Italie. Car en dépit des
positions antagonistes, le problème est le même pour
toutes….
C’est pourquoi, il est permis de se demander si des tractations
ne vont pas – ou n’ont pas déjà
rapproché les adversaires d’hier ? - surtout
qu’il convient, peut-être, de ne pas oublier la dramatique
aventure de Rudolph Hess, qui n’a pas été exclu de
son parti et dont la tentative n’a pas été
dénoncée…
Est-ce que les deux puissances : capitalisme, nazisme, sentant
l’égalité de leurs forces – et leur
épuisement !- ne vont pas décider
d’arrêter leur querelle en
« orientant » la guerre vers la conclusion
vainement espérée en 1918 : la destruction de ce qui
demeure de puissance révolutionnaire bolchévique du mythe
de la révolution « rouge ».
On parle en cet instant, d’une conjonction russo-anglaise…
je l’estime peu réalisable pour les mêmes raisons
qui empêchent l’union de la carpe et du lapin. La victoire
de cette coalition serait négative, car elle laisserait
subsister les antagonismes de classes dont l’un des deux
associés doit se méfier et dont sans doute il a plus
horreur que d’une alliance avec le nazisme !
En admettant qu’une telle incohérence soit possible et
devienne victorieuse, le dynamisme révolutionnaire du pari
« rouge » mordrait immédiatement sur le
capitalisme exsangue anglo-saxon. Celui-ci sait son degré
d’épuisement et ce que serait son impuissance contre un
assaut venu en même temps de l’extérieur et de
l’intérieur. Le Prolétaire n’accepterait
d’entrer dans la lutte qu’à la condition de voir
« sa » révolution s’accomplir. Les
chances conservatrices sont trop faibles pour se permettre une seconde
expérience !
Au contraire les diverses idéologies (religieuses, morales,
sociales) qui composent ce monde occidental ont intérêt
à ce qu’un pouvoir effectif veille sur leur agonie,
et peut-être, est-ce ce rôle de gardien des forces
« civilisatrices » de l’Occident que sa
victoire limitée par un échec va faire adopter à
Hitler. Ce qui reste de vigueur capitaliste n’hésiterait
pas à accepter cette position, à la servir passant
l’éponge sur les destructions opérées.
En face de cette pure hypothèse, que peut valoir le
phénomène russe même si on le suppose
vigoureusement soutenu par son allié chinois ?
Impossible de répondre avec certitude. Il est probable que
les Soviets joueront encore sur deux tableaux, faisant, à
l’intérieur, intervenir la puissance du slaviste, et
à l’extérieur celle de la révolution
prolétarienne.
Sans évidemment l’affirmer, on peut prévoir que le
Russe moyen sera sensible au premier argument comme on peut être
sûr que l’ouvrier, à quelque nationalité
qu’il appartienne ou éprouvera davantage
l’efficacité du sentiment de classe que celle de son
nationalisme. En Allemagne, en Angleterre, les masses
prolétariennes seront « troublées »
au contact de l’idée russe. Mais on ne fait pas une telle
guerre avec, seulement, des forces sentimentales ! Il faut des
cadres techniques égaux ! Que valent ceux de
l’URSS ? Et jusqu’à quel degré
seront-ils « engagés » dans ce
conflit ?
Il parait difficile d’oublier : 1 – Les
défaillances de l’armée rouge au cours de la
campagne de Finlande ; 2 – quelle ébullition a
provoqué, quelques années avant la guerre,
« l’épuration » des cadres de
l’armée ; 3 – Qui a le pas en Russie, du
technicien ou du politique ?
Autant qu’une estimation puisse se faire, elle parait devoir
être nettement défavorable à l’URSS.
D’ailleurs ne serait-ce point cette entreprise
« aisée » que les forces de l’autre
camp, redevenues unifiées, vont tenter, afin de sortir de
l’imbroglio du conflit, et ne risquons nous pas de voir, la
défaite russe achevée rapidement, Hitler proposer une
paix qui sera alors acceptée avec gratitude. Il serait,
naturellement, entendu, que ce n’est pas au chef de
l’Allemagne belliqueuse mais au sauveur de la civilisation
occidentale que l’on se fie.
Il se pourrait que, dès cet instant le scénario soit
réglé car la question qui risque de devenir la plus
importante est celle concernant la façade dont il convient,
avant tout, de dissimuler les lézardes profondes. Tout ce
qui : en France, en Espagne, en Italie est « bien
pensant », tendances monarchiques, conservatrices,
cléricales (le silence de la Papauté est peut-être
l’indice d’un travail réel ) tout ceci accepterait
une fois de plus l’appui du monde financier et acclamerait dans
Hitler le sauveur des forces « spirituelles ».
A la base de ce « malentendu » ainsi
dissipé il resterait une classe ouvrière
repliée sur elle-même et qui serait la grande vaincue de
l’expérience guerrière.
Maxime NEMO le 23 juin 1941