SUR L'ORDRE NOUVEAU  Par ANDRE ROUSSEAUX (L'Aurore date non lisible )
Si j'avais voulu donner à cet article un titre plus long, mais plus explicatif, ce titre aurait pu être celui-ci : Vérités et lacunes de ce que certains jeunes Francaiss d'aujourd'hui appellent "l'ordre nouveau" . Cette formule d'ordre nouveau sert d'enseigne à un groupe de jeunes réformateurs ou, pour mieux dire, de jeunes révolutionnaires ( Pourquoi leur refuser un nom qu'ils reven­diquent fièrement ), qui avait à sa tête le regretté Arnaud Dandieu, mort récemment, auteur, avec M. Robert Aron. de deux essais fort remarqués, "Décadence de la nation française" et  "Le Cancer américain". Je crois bien avoir signalé ici le premier de ces deux livres quand il a paru, voilà quelque deux ans. Un troisième, "La Révolution nécessaire", s'ajoute maintenant à l'œuvre des deux collaborateurs. Œuvre que la mort d'Arnaud Dandieu ne parait pas devoir interrompre, car elle est 1 ex­pression, nous venons de le dire, de tout un groupe de jeunes gens. C'est même une des meilleures raisons que nous ayons de nous intéresser à elle. Il y a là une doctrine vivante, chargée peut-ètre d'efficacité.
Que vaut-elle donc ? Et que lui manque-t-il ?
Elle vaut d'abord par une justesse de position, à l'égard des diverses ré­volutions juvéniles qui ont transformé l'Europe ces années dernières. Les premières lignes de La Révolution néces­saire sont celles-ci: "la France doit évidemment tenir le plus grand compte des mouvements nouveaux qui se développement actuellement en U. R. S. S., en Italie, en Allemagne. Mais, tout en reconnaissant leur gravité pratique, elle ne doit pas s'exagérer leur impor­tance doctrinale ou spirituelle." Et plus loin : " Le rôle de la France n'est ni d'être absorbée ni d'être à la remorque des jeunesses étrangères."  
Voilà un excellent pojnt de départ. Voilà une excellente réplique de la jeunesse française à certains entraîneurs fourbus qui après avoir donné comme modèles à l'Europe, tantôt la sagesse asiatique, tantôt l'activité américaine se retournent vers l'Europe maintenant que l'Asie est passée de mode et que l'Amérique a fait faillite : mais vers tout ce qui existe en Europe, sauf la France. Un premier point à l'actif de "l'ordre nouveau"  c'est qu'on n'y subit pas l'hypnotisme de l'étranger. C'est pré­cisément parce que l'Italie et l'Allem-gne ont fait leur renaissance en re­nouant avec leur génie propre que la France doit faire la sienne en renouant aussi avec leur génie propre. On l'a déjà dit d'ailleurs, et nous-même au cours de ces chroniques. Plus nous serons nom­breux à le dire, mieux cela vaudra.
Deuxième point : quel rôle se trouve ainsi dévolu à la France ? Les apôtres de "l'ordre nouveau" le disent fort bien aussi quand ils écrivent que la France doit "retrouver sa véritable tradition spirituelle, antiétatique et personnaliste". Il lui appartient, di­sent-ils encore, de s'attacher à  "un nouveau prestige de la liberté, c'est-à-dire de la personnalité humaine".
"L'homme est une personne ou il n'est rien du tout; ni race, ni régime ne sauraient changer cette vérité" Vérité qu'il s'agit de rendre à l'être humain. Arnaud Dandieu et M. Robert Aron au­raient pu reprendre ici la formule de M. Thierry Maulnier : la crise est dans l'homme. "La question, écrivent-ils avec raison, n'est plus seulement de sa­voir comment orienter les divers mécanismes de production ou de crédit qui mènent l'Ihumanité et qui l'enfoncent en des crises. Elle est de savoir com­ment sortir de ces mécanismes ; ou comment les dominer : et le lieu de la décision n'est plus ce point encore plus  central télépho­nique ou électrique, mais ce point en­core plus central, ce réduit encore pins intime que constitue l'âme humaine. »
On voit qu'Arnaud Dandieu et M. Robert Aron posent le problème de l'ordre social comme il doit l'être, en dehors de toute abstraction extérieure à l'homme, mais au contraire par rapport à l'homme. Du moment que la crise est dans l'homme, l'ordre doit être trouvé dans l'homme, qui est le commencement de la société en même temps qu'il en est la fin : dans la nature, dans la réalité humaine.
Mais cela suppose une juste connaissance de l'homme. Et c'est ici que la doctrine de « l'ordre nouveau » me parait moins sûre. Je lis dans la préface de "La Révolution nécessaire" que cette révolution sera « une revanche du concret sur l'abstrait ». J'aimerais mieux entendre dire : une revanche du réel sur l'idéologie. Parlons exactement pour bien penser. Il y a abstraction et abstraction. C'est le faux abstrait, bâtit dans l'irréalisme, qui est condamnable non l'abstraction en soi, qui est le propre de l'homme, et qu'il y a illogisme à combattre presque à la même page où l'on a déclaré que l'on veut rendre sa place à l'âme humaine dans la société
Au fond, c'est sur l'analyse de la personne humaine qu'Arnaud Dandieu et M. Robert Aron accrochent et dévient Sans doute, il faut commencer par le louer d'avoir repris, pour l'exalter le terme de personne, qui a le grand avantage de replacer tout discours sur l'homme dans la tradition aristotélitienne et thomiste, c'est-à-dire moins dans un « ordre nouveau » que dans l'ordre éternel de l'humanité. Car on pourrait reprendre une des formule d'Aron et Dandieu que nous avons citées plus haut, en disant : là est l'ordre humain, ou il n'est pas du tout. Le auteurs de la Révolution nécessaire ont parfaitement raison de dire que leur révolution est celle de l'ordre. C'est donc qu'elle s'oppose à la révolution du désordre. Alors, par quelle erreur les sympathiques apôtres de la première de ces révolutions se placent-ils à 1a suite de la seconde ?
Voici l'explication de cette erreur, me semble-t-il. Si les animateurs de « l'Ordre nouveau » parlent fort congrûment de la personne humaine, ils n'ont pas su la distinguer l'individu en faveur duquel a été faite la dernière grand révolution, celle . sur les restes de laquelle nous vivons et nous souffrons. La personne est l'être réellement libre qui se développe au sein d'une société complexe et accordée à sa nature,société que « l'Ordre nouveau » voudrait refaire. L'individu est l'être qui, sous prétexte d'une liberté plus abso­lue, affranchie des nécessités natu­relles, mais en fait liberté men­songère, tombe bientôt sous la tyrannie .collective. C'est ce processus de l'individualisme au collectivisme qu'Arnaud Dandieu et M. Robert Aron méconnaissent quand ils écrivent « IL a fallu un effort gigantesque pour trom­per la Révolution (celle d'il y a cent cinquante ans) ait profit de l'étatisme. La Révolution, comme l'être humain est anti-étatiste par excellence. » Non. C'est la révolution de l'ordre, la révolution « personnaliste », comme disent Aron et Dandieu, qui serait anti-étatiste, (Peut-être vaudrait-il mieux dire anti collectiviste, afin de préserver la notion d'État, qui garde sa place et combien respectable, dans la  société fondée sur la vérité de personne ; l'État ne devient mons­trueux et inhumain que lorsque son activité a été faussée elle aussi par la substitution de l'individu à la personne.) Mais la révolution du désordre passe de l'individualisme au collectivisme par une fatalité dont on ne connaît pas d'exceptions. La tyrannie soviétique, qui a rallié l'individualisme de M. André Gide, est à cet égard aussi probante que la Terreur communiste de 1793, sur laquelle M. Pierre Gaxotte a jeté tant de lumière.
C'est donc de contre-révolution qu'il conviendrait de parler pour dissiper toute équivoque. Beaucoup de jeunes Français, et non seulement dans le groupe de « l'Ordre nouveau », en ont d'ailleurs le sentiment plus ou moins, précis. Nous en trouvons le témoignage; par exemple, dans l'enquête « sur les jeunes-par les jeunes » qui est ouverte en ce moment dans "le Salut public" de Lyon. On y trouve des réponses comme celle-ci : « C'est par les puissances morales et non par les puissances écono­miques que nous arriverons à sortir du marasme. » Et'encore : « Scellons une alliance sur un programme de rénova­tion française. » Tout cela est un peu vague. « L'Ordre nouveau » a le grand mérite de préciser des idées qui sont dans l'air. Pour les mettre tout à fait au point, il faudrait que les animateurs de ce mouvement achèvent de recouvrer la vérité sur la connaissance de l'homme.
André Rousseaux.