SI la sollicitude d'un auteur pour les êtres qu'il modèle et l'étude du moi intime des humbles sont le fait du populisme, le livre de M. MAXIME NEMO,
 Julot, gosse de rêve (chez Rieder), mériterait presque d'y être rattaché, n'étaient l'imagination et la fantaisie qui s'épanouissent dans tout le récit, et interdisent, sous peine de le trahir, de l'apparenter à aucune école. •
L'histoire qui nous y est contée est. celle d'un peti t garçon dont l'existence, entre un père porté à boire et une mère surmenée, est une suite de mornes jours. Mais Julot possède une faculté rare, et qui le rend heureux : quand le réel lui déplaît, ou ne le satisfait pas, il s'en évade et se réfugie dans un monde né de son caprice, où tout est amusement et nouveauté. Dans le métro, où il manque étouffer sous la poussée de la foule, il se figure traverser une forêt, où les sons deviennent musique, où les lumières et la vitesse créent un paysage fantastique. Le train qui le ramène dans la banlieue où il vit dévient l'Orient-Express, qui l'entraîne, avec une griserie croissante, vers des pays inconnus où « les petits garçons ont le soleil pour billes et la lune pour ballons ». Et , dans son petit lit, il se console d'avoir entendu, à travers le mur, une dispute qui a failli tourner au tragi(|ue entre ses parents, en s'abandonnant à un rêve echevelé où son esprit peut faire mille cabrioles et se venger copieusement des lisières auxquelles l'astreint l'existence de tous les jours.
On yoit le propos de M. Nemo ; et on devine tout ce que la souple invention de l'écrivain
peut y ajouter d'aimable vagabondage. D'aucuns y préfèreront-ils le réalisme discret et ému de Mlle Céline Lhotte? C'est possible. Toujours est-il que Julot, gosse de rêve, illustre cette vérité que, pour ceux que la vie déçoit par ses contraintes et son manque de poésie, rien ne vaut de se forger un univers à soi, détaché des contingences fâcheuses, et où les plus exigeants verront leurs aspirations satisfaites et leurs déceptions abolies.
PIERRE-L. MAZEYDAT. in Le Journal des Instituteurs n°25 - 15 mars 1931