INEDIT
Sur la période militaire
de Maxime Nemo comme Secrétaire à l’Etat Major dans la 20è Section SEMR Caserne
Babylone près Ecole Militaire Paris VIIè.
Ce texte évoque la
scène qui suit sa démobilisation le 6 mars 1939
Il se retourna et vit la cour de la
caserne de l’Ecole Militaire avec ses deux ailes tentaculaires qui avançaient
vers la grille où un territorial montait la garde, tandis que dans la rue qui
la bordait, les hommes encore civils avaient l’air de presser le pas en passant
devant elle. Un officier qui avait donné trois signatures sur une feuille qui
le libérait définitivement, trois signatures qu’un soldat avait séchées en
faisant rouler un buvard dessus ; il avait pris sans hâte sachant bien que
c’était son droit, cette feuille qui mentionnait son nom, sa classe, son
matricule et l’avait pliée dans un porte feuille tout neuf qu’avant d’entrer,
il avait acheté. Puis il était sorti après avoir jeté un coup d’œil au
secrétaire d’intendance qui le libérait - l’autre lui répondit : « bonjour
vieux et il se trouva dans la cour qui donnait sur la grille qui donnait sur la
ville.
Il se retourna et fut étonné de se
trouver si différent de ce qu’ il était en arrivant.
Il avait en entrant éprouvé pour les soldats
qui soignaient les chevaux en fumant et en crachant par terre cette aversion qu’il
témoignait à tout appareil militaire parce qu’il retrouvait toujours des
souvenirs de chambrée d’hôpital, de travaux exténuants ou répugnants de voyages
accomplis par des itinéraires ignorés sous l’œil soupçonneux des officiers de
garde, dans les gares, ou bien encore la sensation de la blessure encore
récente que lui laissait ce rappel de la vie retenue dans un souffle au milieu
de l’éclatement de projectiles.
Un officier supérieur- raidi par des
bottes vernies traversait la cour, il le salua presque ostensiblement, si bien
qu’étonné de son insistance l’autre leva la tête et lui rendit son salut.
Puis, enfin, comme le sergent de
garde l’examinait scrupuleusement – mais sans l’arrêter cependant – joyeux, il
agita la feuille libératrice et ne refoula pas – pour la première fois depuis
cinq ans, un terme d’argot militaire que sa mémoire lui proposait. Il lui
fallut toute sa maîtrise pour ne pas offrir une cigarette au factionnaire et
sur l’avenue, il eut une sensation civile en recevant le soleil sur la nuque –instinctivement,
il chercha pour les baisser les bords d’un chapeau qu’il ne portait pas encore.
L’eau courait le long d’un trottoir,
une eau d’été qui se sentait utile et allait vite. Il regarda l’avenue qu’il
descendait ou qui montait selon le sens du boulevard. Il pardonna aux grands
immeubles leur architecture contre laquelle hier encore, il fulminait et
sentit, tandis qu’un attelage de maître rythmait sa vitesse sur le pavé de bois, un air sans prétention
sourdre de lui et l’idée qu’une femme entrant dans son cerveau, il se promit
une soirée immédiate aux Folies bergères.
Près d’un rond point, un kabyle balayeur
de rue, immobilisait une capote bleue dont un seul bouton de cuivre brillait au
soleil. Près de lui une bouche d’eau
dégorgeait à petits coups comme
des idées de source. L’homme formait un spectacle immobile, les yeux perdus à
la recherche d’un espace qui lui
manquait ou d’une séguia rafraîchissant
quelques basses herbes au pied d’un mur
de terre qui cuisait au soleil, ou d’une touffe de palmiers faisant d’un gris
presque tragique vers la profondeur d’un
ciel intense qu’il semblait toucher.
Son balai pendait à ses pieds, le
manche en biais sur sa poitrine et retenu par les deux bras croisés. Il s’approcha
du kabyle au point que son odeur lui frappa les naines, compta sur sa montre
jusqu’à sept minutes et sourit en pensant aux poubelles entassées sur les
trottoirs. Un banc mendiait un passant, il s’assit prit son couteau et fit
sauter du col de sa capote les chiffres de cuivre qui indiquaient le numéro de
son ancien régiment. Une petite note de plus plus indiqua son désarmement
définitif. Il se sourit, déboutonna son vêtement
et s’octroya un grand revers formellement interdit par l’ordre de cantonnement.
Alors il fut joyeux de ses souliers ferrés, de la solidité du drap militaire
dont il entrevit la teinte nouvelle et la transposition en vareuse touristique
et se prit à rêver à ses vacances prochaines.
Etonné, sa pensée disciplinée par
cinq ans d’allers et retours monotones, ne se dirigea pas vers l’Est ou le Nord
mais s’orienta vers le Plateau Central, la Corrèze, le Limousin, la Dordogne,
vers tout ce qui n’était pas hors de la portée de sa bourse. Vers tout ce qui
rappelait le silence, les sources, les petites villes perdues dans un passé grandiose
et aspirées par la formule architecturale des mairies, des bureaux de postes,
des caisses d’épargne qui lui indiquaient un présent devant le quel leurs habitants rechignaient encore. Il
cherchait à mêler ses habitudes récentes aux visions qui naissaient et à
imaginer un coin de dépaysement ou un quartier endormi qui serait un secteur ?,
sa maison : une auberge ou une chambre garnie qui serait son PC, des vues
fastueuses ou des chemins creux dans lesquels il glisserait en courbant l’échine
comme dans les boyaux vers le bois de Près ou la forêt de Passy – ses derniers
séjours redoutables – mais l’assimilation ne se faisait pas et une joie de pêcheur
à la ligne sur une eau courante ou de rêveur étendu sur un boyau sans morts,
éclatait au bout de sa vision au lieu du chuchotement que l’approche des premières
lignes propageait jadis parmi des hommes condamnés à la même fin.
Il lui semblait qu’il n’avait qu’à se
retourner pour découvrir l’avenir lumineux qui l’attendait comme lorsqu’autrefois
dans la petite église de campagne dont il fréquentait les offices, la chaude ……
de l’extérieur ensoleillé venait par la porte brusquement ouverte pour la
sortie, frapper l’autel naïf où l’encens du sacrifice fumait encore dans les
dernières notes d’un chant que l’institutrice libre accompagnait à l’harmonium.
Il sentait une à une ses angoisses
sortir et avec elles la longue anémie dont toute sa vie avait souffert pendant
ces années ? Des aubes mouraient en lui, l’exorcisant lentement et il
saluait un incendie de plus, celui qui consumait sans arrêt le souvenir des
nuits dans les granges dont les courants d’air étaient établis par des trous d’obus
et qui indiquaient qu’on se trouvait à 1500 mètres des postes d’écoute d’où des
hommes tapis essayaient de saisir l’inquiétude d’en face afin de pouvoir la
confronter avec la nôtre.
Le mot « guerre » s’enfonçait en lui, perdant d’instant en
instant une signification immédiate pour
devenir un thème à méditations personnelles ou un sujet de conversation dans
les salles d’attente avec un voyageur qui lit le même livre que vous. Il fut surpris de la vivacité de
souvenirs très anciens et qu’il croyait détruits mais qui renaissaient et se
présentaient à lui pèle mêle comme des centaines de cartes postales jetées dans
une grande boîte. C’était bien pour lui la paix. La fumée des obus retombait
enfin sur les morts et les ruines qu’ils avaient causés et maintenant des paysages
intacts remontaient sans un mur noirci et sans une tombe habitée.
Follement il descendait cette vallée
de la Cèze parcourue autrefois entre la petite station de St Denis près Martel
ou – tout soufflant, le train pour Toulouse s’arrêtaient montrat aux portières
ses voyageurs déjà fatigués par six cent kilomètres de heurts, de crainte aux
aiguilles franchies, d’éclats de rire aux courées qui d’un poussée brusque
penchent les voyageurs dans le sens de la marche, du repas froid qui amuse les
enfants , de la nuit attendue par le couple de femmes mariées dont les mains nouées
provoquent des clignements d’yeux et les réflexions à double sens du voyageur
de commerce qui a placé dans le filet sa boîte d’échantillons entourée de moleskine
et sanglée par une courroie.
St Denis près Martel, l’attente du
seul train matinal vers Aurillac, la préfecture qui reçoit par assaut l’air des
Cévennes et par cette petite faim, les fruits qui ont mûri le long de la
Garonne ou sur les bords du lot.
Il discernait la gare et le goût du
vin blanc que le buffetier apportait dans une petite bouteille qui ne truquait
pas, qui était un juste et solide demi litre que le soleil extérieur
remplissait d’ambre pâle ; Il se rappelait la carte des chemins de fer et
la démarcation très nette établie au moyen de deux traits, l’épaisseur
différente entre les wagons à bougies chauffés à la vapeur et éclairés au gaz
qui étaient ceux de l’express montant vers Paris ou descendant sur Toulouse et
ceux qui acceptaient dix voyageurs au lieu de huit car ils ignoraient la
commodité du couloir et ouvraient toutes leurs portières aux bouillottes
fumantes qu’un homme d’équipe tenait dans ses deux bras et qu’il poussait
devant les jambes refoulées sous les banquettes dans la crainte d’un choc
toujours possible.
Il revoyait après la traversée de la
plaine fertile où des maisons bravement assises sur le sol avaient cet air
particulier aux paysannes enrichies qui devait être celui des matrones
romaines- la lente fermeture du sol – l’impression, vraiment, d’une gorge
offrant pour ne pas trop effrayer sa cavité buccale large d’abord occupée par
des échantillons de rocher, de place en place, en sentinelle, puis après un
certain nombre de ces avants postes, la prise brusque dans un tunnel, le tintamarre
préparatoire comme si des ordres se
jetaient et la sortie de l’autre côté du rempart dont la porte est refermée. Et c’était la
possession du train par un chaos de rocs, d’eau rapide tournant sur elle-même,
de verdure s’organisant par bandes ou simplement par touffes, selon la
nourriture que le sol lui offrait. La locomotive annonçait les tunnels dans un
cri qui faisait envoler les oiseaux de proie, et c’était après des grottes d’ombres
de fastes déchiquetures de rochers suspendues au dessus des bouillons de l’eau
et que la ligne souvent fendait en deux,
ne leur laissant que le minimum de base
pour équilibrer leur masse. Le train tirait sur les courbes qui
gémissaient montrant parfois à son centre la locomotive qui dépensait toute sa
vapeur pour arriver à la station lointaine
et seulement composée du seul bâtiment de la gare dominée de chaque côté par les roches qui heurtaient
le plein ciel.
Rarement, des gens montaient ou
descendaient, on sentait que la ligne argentait les deux rails au profit du prestige préfectoral et pour
communiquer aux 12000 habitants d’Aurillac la vision du monde qui montait ou
descendait à 80 kilomètres d’eux sous l’étroite marquise de St Denis près
Martel.
Il s’étira comme fatigué par le
voyage que dans sa pensée il venait d’accomplir puis après avoir écrasé du
talon les chiffres de cuivre qui luisaient encore, il glissa d’un pas souple
vers la ville. Il traversa les Invalides sans saluer les officiers qui
passaient, il prit les quais, les trouva jeunes comme lui, reconnut des figures
de marchands qu’il n’avait pas vus depuis la guerre, se rappela à leur souvenir
tout à fait civil quand l’un d’eux qui le connaissait lui découvrit une édition originale qu’il
vendait cher. Il perdit son temps de boîte en boîte, sans rien acheter, rien
que pour se prouver sa liberté reconquise et ne saisit pas une ombre, droite,
près de lui, et qui l’observait depuis un instant. Cependant comme une main lui
touchait légèrement l’épaule, il regarda, vit un uniforme, un képi brodé d’un
rang de chêne.
-« A quel régiment
appartenez-vous donc mon ami ? »
Il eut une explosion de joie
libératoire, il sentit une gaieté allègre le traverser et ce fut elle qui
répondit dans un sourire qu’il ne chercha pas à comprimer :
- A aucun mon général – car je viens
d’être démobilisé. »