6 janvier 41
Mon cher ami. Je suis bien sensible à votre bon souvenir
à l'occasion de cet étrange Nouvel An, double porte dont
l'une se ferme sur une épouvantable agonie et l'autre s'ouvre
sur une de ces naissances où pour sauver l'enfant il a fallu
sacrifier la mère. Mais au total, drame logique que j'avais et
quelques autres avaient prévu et trop facilement prédit !
Mes voeux vont à vous, à tous mes amis, à ce
pauvre, grand et douloureux pays, qui ne veut pas mourir et ne mourra
pas;
Vous me parlez de l'éternel et du temporel, de l'esprit et de la
politique, du royaume des cieux et du royaume terrestre et vous ne
voyez le salut qu'en évacuant l'un et vous réfugiant dans
l'autre. Pardonnez-moi, ami, mais hegélien fidèle,
antidualiste obstiné, je ne me satisfais pas de cette facile
antithèse, dont la seule formulation me prouve l'inexistence
foncière. ce n'est qu'un antagonisme formel qui relève de
la logique immédiate et non de la profonde logique
centrée sur la vie et qui ne se contente pas d'être
parvenue à la synthèse et à l'unité. Quant
à ce que vous appelez "mon parti" je ne le reconnais pas sous ce
nom; le mouvement d'esprit qui a mes préférences n'a rien
d'un parti, c'est une forme de civilisation. Le chrétien
du IVè siècle n'aurait pas non plus accepté
le mot secte. Il savait que sa religion débordait une
aussi pauvre définition.
Il n'importe d'ailleurs. Contentons-nous- et ce n'est pas peu de choses
! - de l'amitié. je fais confiance à l'avenir et à
notre courage intellectuel. le temps viendra ! Je prends, en attendant,
la main tendue et je la serre.
Jean Richard BLOCH