D O U Z E     C I B L E S     D ' A V E N I R

MERMET  Gérard "Tendances  1998" : les nouveaux consommateurs, Larousse - Bordas, pp.61-63 (extrait)

les juniors | les jeunes adultes | les jeunes seniors | les néo ruraux | les femmes | les hédonistes | les curieux |
les pressés | les humanistes | les harmonieux | les essentialistes | les autonomes |

Les catégories d'acheteurs ne peuvent plus aussi facilement que par le passé être segmentées selon les critères sociodémographiques traditionnels : sexe, profession, revenu, habitat, état civil.... Ces critères sont de moins en moins explicatifs ou prédictifs des choix effectués par les consommateurs. le seul critère traditionnel véritablement discriminant en matière de consommation reste l'âge.
Le typologies les plus pertinentes sont aujourd'hui transversales ;
elles reposent de plus en plus sur les modes de vies et les systèmes de valeur. Ainsi les acheteurs de la Twingo sont moins précisément décrits par le revenu, le sexe ou la profession que par des types d'utilisation: seconde voiture de ménages urbains; voiture de couples âgés ; voiture de jeunes recherchant des modèles originaux et "fun".
Les nouveaux clivages de la consommation se feront de plus en plus selon des critères qualitatifs : entre conservateurs et innovateurs, entre nationalistes et universalistes, entre égocentrés du secteur tertiaire concurrentiel et altruistes du secteur quaternaire, entre actifs du secteur privé et fonctionnaires, entre élites et citoyens de base, entre jeunes et vieux....
Cette approche permet de définir de nouvelles catégories de consommateurs. Douze d'entre elles nous paraissent constituer des "cibles" d'intérêt croissant pour l'avenir.



Les juniors
Les enfants disposent d'un pouvoir d'achat croissant, que l'on peut estimer à près de 50 milliards de francs pour les moins de 18 ans , si l'on ajoute à l'argent de poche les sommes reçues de la famille en cadeau et celles gagnées lors de menus travaux. Comme leurs parents , les enfants sont devenus des consommateurs plus exigeants, car mieux informés. Pour les séduire, les entreprises  n'ont pas droit à l'erreur, car la sanction est immédiate.
La difficulté est accrue par le fait que les goûts des enfants évoluent plus rapidement que ceux des adultes. Ils vieillissent et s'intéressent  à d'autres produits. Ils aiment aussi "zapper" entre les offres. Enfin à âge égal, leurs modes, leurs héros et leurs centres d'intérêt changent plus fréquemment.
Une autre difficulté tient à la nécessité de convaincre et de séduire les parents, notamment les mères, qui sont de plus en plus impliqués dans les décisions. Ainsi, les jouets ont aujourd'hui plus de chance d'entrer dans les foyers s'ils ajoutent à leurs qualités ludiques une dimension éducative.
Les dépenses effectuées par ces derniers pour leur progéniture sont considérables. selon l'INSEE, ils consacrent en moyenne 23% de leur budget pour le premier enfant, 36% pour deux, 45% pour trois (dépenses directes mais aussi induites, comme les déménagements pour s'agrandir ou les changements de voiture). Ils dépensent 12 400 F au cours de la première année, dont 3 000 F de couches et 3 400F de lait et de petits pots.
Les enfants exercent très rapidement une forte influence sur les produits et équipements achetés par leurs parents. le taux de prescription des moins de 12 ans est de 77 % pour les achats de céréales, 59 % pour les produits laitiers , 31% pour les destinations vacances, 30% pour les voitures, 22% pour le matériel HIFI. C'est sans doute pourquoi 63% des mères qui emmènent leurs enfants dans les grandes et moyennes surfaces  évitent de passer devant lerayon jouets et 28% devant le rayon bonbons. (Médiaperformances 1996)



les jeunes adultes
Les jeunes adultes (18 - 25 ans) ont aujourd'hui un pouvoir d'achat réduit. Ils n'ont pas autant bénéficié de la croissance  générale des trente dernières années que les plus âgés. mais ils compensent cette limitation par le fait qu'ils vivent souvent  chez leurs parents : c'est le cas de 60% des hommes et 49% des femmes de 20 à 24 ans, contre respectivement 51% et 38% en 1982.
Pour ces jeunes, la consommation est une façon de construire leur identité, d'affirmer leurs centres d'intérêt et de devenir adultes. Ils recherchent le plaisir sous toutes ses formes, notamment en matière de loisirs. Les 15-25 ans vont ainsi au cinéma deux fois plus que la moyenne. Ils sont plus que les autres attachés aux objets et aux marques, qui sont des signes d'appartenance à un groupe, une "tribu" . mais ils sont aussi très compétents en matière de décodage de l'offre, très sélectifs et infidèles.



les jeunes seniors : En France , les 17 millions de plus de 50 ans (21% de la population totale ) représentent un énorme gisement de pouvoir d'achat : il a augmenté d'un tiers en vingt ans et s'élève aujourd'hui à plus de 700 milliards de francs.
Les entreprises s'efforcent d'attirer ces seniors par des produits et par une communication adaptés. L'erreur consiste à développer des offres qui leur font prendre conscience de leur âge ou qui leur renvoient leur image d'individus passifs ou affaiblis. car les seniors ne constituent pas un groupe homogène : leurs attitudes et comportements de consommation diffèrent largement selon qu'ils ont 50, 70 ou 80 ans.
Parmi eux , les 55-65 ans constituent une cible de choix. Ils sont souvent inactifs (une personne sur deux a 58 ans) et disposent donc de temps. Ils bénéficient aussi d'un pouvoir d'achat moyen élevé et de charges réduites (plus d'enfants à la maison, pas de crédit immobilier à rembourser...) Enfin, ils ne sont plus comme leurs aînés dans la civilisation du travail et du mérite : ils trouvent légitime de consommer et de ses faire plaisir  et examinent avec intérêt les offres qui leur sont adressées. Ils sont généralement plus fidèles aux marques et aux magasins (surtout les supermarchés) que les plus jeunes.

les néoruraux :
Les ménages "rurbains" sont ceux qui sont issus de l'inversion du mouvement d'exode rural constatée depuis une vingtaine d'année. déçus par la qualité de vie dans les grandes agglomérations, ils se sont installés dans les zones rurales ou périurbaines, troquant leur appartement contre une maison et un jardin.
Par leur profil personnel, leur activité et leurs modes de vie, ces "néoruraux" sont de moins en moins différents de ceux qui habitent en zone urbaine. Ils n'ont pas abandonné leur goût du confort pour "revenir à la terre", comme ce fut le cas à la fin des années 1960.
Les conditions de vie à la campagne se sont d'ailleurs beaucoup améliorées, avec le développement des moyens de transport et de communication, l'implantation des grandes surfaces et la décentralisation administrative . de leur côté, les agriculteurs sont de moins en moins nombreux. Ils sont aussi de moins en moins ruraux, au sens traditionnel comme au sens géographique du terme: les trois quarts habitent dans les zones péri-urbaines des grandes agglomérations. leurs comprtements de consommateurs : loisirs, bricolage, jardinage, équipements de sport, moyens de transport etc.... Les néoruraux sont les nouveaux modernes.


les femmes :
Longtemps restées dans l'ombre en matière de consommation, les femmes ne se contentent plus de donner leur avis et d'influer sur les choix familiaux (hors l'alimentation, où elle ont depuis longtemps un pouvoir de décision)
Elles jouent aujourd'hui un rôle beaucoup plus apparent et investissent tous les domaines autrefois fortement masculins: bricolage, automobile, sport, vacances, loisirs, etc...
Les valeurs féminines (sens pratique, simplicité, générosité, douceur, discrétion...) commencent à imprégner les objets et les méthodes de vente. les équipements sont recensés en fonction de ces revendications féminines.le niveau d'instruction croissant des femmes devrait les maener à peser encore plus à l'avenir dans la vie sociale et économique.


les hédonistes :
La recherche du plaisir devrait être l'une des plus fortes motivations de la consommation au cours des prochaines années.Elle incitera un nombre croissant de Français à s'intéresser à des produits, équipements et services porteurs de satisfactions de toutes sortes: esthétiques, ludiques, imaginaires, émotionnelles....
Les hédonistes se retrouveront  dans tous les groupes sociaux, sans doute plus nombreux parmi les jeunes et ceux qui seront en situation de disponibilité par rapport à la consommation (ayant notamment  un emploi non menacé) Il faut noter qu'il existe une dimension culturelle dans cette motivation, qui est davantage latine qu'anglo-saxonne.


les curieux  :
Face à la complexité croissante du monde, deux attitudes opposées sont possibles. la première consiste à vouloir s'en détacher, voire s'en retirer: elle conduit à l'austérité et à la frugalité.(Courrier de l'Unesco n° 9801 : la frugalité : un mode de vie?)
la seconde est au contraire de chercher à comprendre et à se laisser porter par cette complexité qui peut-être source d'expériences toujours renouvelées.
Les curieux se recruteront dans la seconde catégorie. Ils appartiendront à des groupes sociaux très différents. Ils auront en commun la volonté de chercher à s'intégrer dans la modernité, qui ouvre des champs nouveaux et offre des sensations fortes et renouvelées.


les pressés :
Le temps est un critère d'importance croissante en matière de consommation. le temps moyen de présence dans un hupermarché est passé de 90 minutes en 1980 à 50 minutes aujourd'hui alors que le nombre de produit référencés a augmenté de 80% .
Les consommateurs pressés constituent une catégorie d'avenir dans la mesure où les courses courantes sont souvent considérées comme une corvée. Pour eux , le cybercommerce et les formes de commande et de livraison à domicile présentent sans aucun doute un intérêt. Il est aussi possible de les attirer dans les ppoints de vente existants en s'arrangeant pour ne pas leur faire perdre leur temps. On peut par exemple , comme dans les maxidiscomptes, limiter le nombre de références ou organiser les magasins en univers de consommation plutôt que slon une logique de distribution. Une autre solution consiste à rendre le temps passé dans les magasins plus agréable.


les humanistes  :
La crise économique de ces vingt dernières années a aussi et surtout été une crise de civilisation. le passage de la vision collective de la société à une approche individuelle a engendré des insatisfactions, des frustration et des inégalités.



les harmonieux :
En contrepoint des années 1980, qui furent celles des excès, du culte de la performance et du dépassement de soi, les années 1990 ont été d'abord marquées par une volonté de retour à l'équilibre. cette évolution est sensible, par exemple dans l'alimentation (préoccupations nutritionnelles, part croissante du petit déjeuner....) l'habillement (disparition des styles marginaux du type destroy ou grunge ), les choix de décoration, la pratique des sports ou les placements financiers.
Mais comme l'écrivait Victor Hugo: "au delà de l'équilibre il y a l'harmonie". C'est bien en effet l'harmonie que certains recherchent  dans leurs rapports avec la nature, la planète et l'Univers, comme en témoignent leurs attitudes écologiques.
Ils souhaitent aussi trouver l'harmonie avec les autres , dans le cadre de leur vie familiale, professionnelle ou sociale. Ils rêvent enfin d'harmonie envers eux mêmes: c'est pourquoi ils privilégient les produits qui les rassurent, qu'ils jugent porteurs d'identité, de sérénité et qui peuvent participer à leur épanouissement personnel.

les essentialistes :

Si la consommation tend à redevenir un moyen de se faire plaisir, elle est pour certains une façon de passer à côté de l'essentiel, qui est de vivre en harmonie avec soi même et avec les autres. la conséquence est une forte résistance à l'offre lorsqu'elle véhicule la futilité et met en avant des arguments superficiels. ce groupe d'importance croissante se caractérise par sa sobriété, son mode de vie frugal, sa tentation d'ascétisme.
En contrepartie, les produits et services qui se situent en décalage par rapport aux pratiques habituelles peuvent séduire . C'est le cas , par exemple, de certains biens culturels (livres de philosophie ou religieux, expositions artistiques thématiques, aliments bio.....) oiu de produits inspirés de la tendance New Age, qui sont construits autour de l'idée d'une réconciliation de l'homme avec l'Univers.


les autonomes :

Le soucis d'autonomie se développe chez la plupart des Français. Il les incite à ne plus dépendre des autres dans leur vie quotidienne, de peur que cette dépendance soit un jour une source de difficulté. C'est pourquoi ils se rendent le plus possible de services à eux mêmes, qu'il s'agisse de réparer les équipements domestiques défectueux, d'entretenir  la voiture, de cultiver ou de confectionner certains produits alimentaires (légumes et fruits du jardin, volailles du poulailler, confitures, foie gras....)
Cette volonté d'autosuffisance n'est pas seulement motivée par un souci d'économie. Elle est souvent associée au plaisir de faire soi même, de créer quelque chose de ses propres mains. Elle n'exclut pas en tout cas le recours à la consommation. mais les produits ou objets recherchés ne sonbt pas "finis": ils servent au contraire d'ingrédients ou d'outils permettant d'en réaliser d'autres par son propre travail et son imagination. les résultats ainsi obtenus sont plus élaborés et conformes à la personnalité et aux goûts des personnes concernées.


Extrait de Problèmes politiques et sociaux n° 816 ( Février 1999 ) pp.64 à 77 - Paris - La documentation française-
"les nouvelles tendances de la consommation"