INTERVIEW de MAXIME NEMO par Claude SERILLON
à " La Crétinière " à Saint Julien de Concelles en 1972
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   ROUSSEAU ,   la paix,   la vie
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" Ce qui me fait peur c'est le marasme de l'indifférence, le mécanisme du bien être de chque week -end, de chaque saison toujours recommencée où il n'y a plus rien d'essentiellement humain… la pureté, la poésie, l'art, l'élan sont nécessaires. L'angoisse prend de la force devant toute la haine, toute la décomposition du beau. Du Beau. Il faut l'enthousiasme , quelque once de naïveté à la recherche de l'homme: parler des silencieux, des simples ce n'est pas facile, le brillant éclate trop pour être satisfaisant. Le monde est bien fou dans sa découverte de lui même. L'oubli se fait sur l'amour, sur la beauté . la laideur s'étale… Au bord de l'eau limpide, c'est l'absolu, l'extrême puissance de l'adoration de ma totalité. C'est le retour. La reconnaissance de l'homme a ses origines , seul avec la magie de la nature".

Et le silence arrête sa main . Dépliée par dessus l'autre. La fenêtre ouverte bourdonne. Les arbres gigantesques couvrent la maison. " le château " disent les voisins de la Crétinière à
Saint Julien de Concelles, et ajoutent des souvenirs sur le " père de la dame ". On ne sait pas très bien le nom de l'homme. Maxime NEMO goûte trop la discrétion, la quiétude de la réflexion pour prendre le temps de se faire connaître.

" J'ai peur aussi que le mécanisme de la machine envahisse celui de l'âme."

Ses cheveux éclatent en feuilles immaculées autour de ses yeux. Bleus.Terriblement vivants.

" Je suis six mois par an à la Crétinière depuis 1966, là je continue ce vieux désir d'exprimer cette puissance de la poésie que je portais en moi dès ma plus tendre enfance. Je suis né à Chenonceaux, il y a plus de soixante dix ans . Quelques mois à regarder la férocité guerrière. Un séjour intermittent dans le Périgord et puis je parcours la France, une centaine de villes pendant quarante ans. Une conférence suivie d'une lecture dramatique (sur la tragédie… la destinée humaine; 300 représentations sur la Tétralogie de Wagner) et puis des livres . Et voici…

Il sourit. Offrant délicatement un muscadet. Pur. Pas trafiqué !

" La Vie est en train de se détruire. A grande vitesse. Le drame se joue en dehors des systèmes politiques. La terre souffre et meur t: il faudra des centaines d'années pour que tout recommence. Les communautés de jeunes, de hippies, américaines ou françaises ont repris le chemin du labourage. C'est un esprit extraordinaire. Formidable. Mais il sera condamné si les jeunes ne se s'abandonnent dans l'indifférence générale."

Jean Jacques ROUSSEAU dessine des rêves entre nous et les mots prononcés rejoignent les franges de " l'Emile " , du " Discours sur l'origine des inégalités ".

Maxime NEMO très officiellement secrétaire général de " l'Association Jean Jacques Rousseau" écoute un instant les oiseaux bavarder. La société secrète des "rousseauistes". Il sait pourquoi.

" Les ordinateurs sont extrêmement utiles. Les automobiles également. Mais il faut fixer des limites, des barrières protégeant la quête, la réflexion".

De converser alors sur la création: ses poèmes jamais publiés. Ses manques: la musique, le théâtre.

" J'aurais beaucoup aimé faire de la musique. Autodidacte, j'écris pour aller vers autrui, pour donner un sens à la vie d'autrui. Après tout ,Dieu, pour quoi faire ?"

Maxime NEMO avoue doucement , derrière ses doigts croisés, un démiurge: Prométhée.

Ni athée, ni marxiste, ni chrétien, il execre ardemment l'idolâtrie. Il n'est pas satisfait loin de là, de la création, a horreur de la putréfaction des corps.Je suis trop orienté vers la Beauté.

Il veut se battre encore pour elle. Pour l'écologie, contre les pollutions. Ses phrases ressemblent aux communards à cheveux longs. Aux pacifistes aussi:

" Mon premier livre concernait le mouvement républicain et pacifiste allemand. Je crois à cette idée profonde de paix. Cela peut devenir réel. Il manque sans doute une incarnation, Jaurès et Briand sont morts. Le pacifisme va naître du pouvoir économique : il sera de fait avec les concentrations des économies, et on aura un compromis entre les possédants et les autres. A partir des idéaux. L'élan de générosité qu'il faut provoquer je le tente à la rentrée avec les gens de l'UNESCO. L'écologie ayant enfin place reconnue."

Dans une autre salle au plafond barré de poutres brunes, la pendule sonne. On a parlé de la paix, de la nature, de la pudeur, du beau, des gens gais et bouffons, de la Vie. De la Mort. Maxime NEMO n'a pas peur. Il espère simplement que la postérité justifiera son passage et raconte en guise d'au revoir , sa vie de tous les jours à " la Crétinière " avec sa femme Yvonne et le jardinier curieusement nommé " Shopenhauer ".

Il évoque bientôt Reverdy. D'autres noms peut-être encore…Le vieil homme et la vie retournent déjà à leur face à face. Dans le silence de la nature animale.

Claude SERILLON                 " Presse Océan "     N°10 255         du Vendredi 30 Juin 1972




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