Montmorency, le 13 janvier 1948
Mon Révérend Père,
Qu’il soit permis à l’un des auditeurs de votre
belle conférence de lundi soir, de revenir à vos propos,
afin de vous dire, en toute simplicité, la répercussion
des paroles prononcées à travers les diverses formes de
la sensibilité.
Des trois propositions (et delies !) que vous avez
présentées à otre attention, je me permets
n’étant pas chrétien (mais
prométhéen) d’écarter la conclusion
donnée, d’ailleursfort discrètement. Non que la
notion d’une Eglise centrant le meilleur des dispositions
humaines éparses dans le social, soit de nature à me
paraître superflue ; au contraire, je rêve à un
avènement qui permettrait à la fonction pensante de
s’exercer dans le sens « apostolique »mais
je rêve à une laïcisation du clergé –
que vous n’admettez peut-être pas ;
Ces temps sont encore éloignés des tâches immédiates qui sollicitent nos possibles activités.
Ce grand rôle social, présent, dont vous avez fait vibrer
la ligne, sur quelle puissance baser son articulation ?...Le
Politique se meurt – qu’il soit de droite ou de gauche.
J’entends le Politique – idéologique. Il sombre
après avoir entraîné l’Espèce dans une
horreur de sang. Ne faudrait-il pas lui substituer une forme
d’exercice puisant sa valeur et son efficacité dans ce
que, d’une façon à la fois imprécise et
formelle, je nommehabituellement : la compétence de la
Fonction ?... Fonction d’abord
« désintéressée »,
chargée de penser et de faire l’Humain et associant pour
cette tâche : penseurs, éducateurs,magistrats,
médecins, urbanistes à qui se joindrait la Fonction
créatrice de Faits, de façon à ce que
l’Humain glisse d’un humanisme d’idées
à un autre : d’actes.
C’est depuis la révolution, mais surtout à cause du
romantisme, que les deux états se trouvent
séparés. Les grandes étapes humaines :
grecques, romaines, chrétienne ont au contraire vécu de
leur étroite connivence – que le monde actuel ignore,
d’ailleurs, pour son malheur. Or, l’Occident ne sera
effectif que le jour où l’Idée et le fait seront le
résultat d’une seule et même inquiétude
– comme l’efficacité centrale du mouvement
fonctionnel afin de reprendre l’une de vos images.
Est-il possible de concevoir objectivement un tel avenir sous forme de
devenir ? C'est-à-dire, en fonction de ce sens de
l’homme dont de Bonald disait que, sans lui, il
n’était de révolution effective ? Nous avons
besoin de nous déposséder de nos passions diversespour
constituer cet Humain en germes dans les richesses du passé et
la puissance du Présent ?
Il est des heures – tragiques- où il faut savoir
être nu et pur de toute contamination – serait-elle
dogmatique.
Je cherche les esprits de cette qualité ; les autres me
semblant quelque peu démonitisés. D’où cette
action à forme patiente dont l’esprit, au moins est
découvert.
Pour revenir encore à l’un de vos séduisants
propos, ne pensez vous pas, mon Père, que la Connaissance
– en soi, suppose une triple hiérarchie ? Je la vois,
à son origine : mystique : au second
degré : critique ou scientifique pour atteindre son plein
développementdans l’esthétique, position qui
englobe les deux autres, précédentes, pour les acheminer
à un ordre d’intelligence qui fait du temps un
créateur d’actes, c'est-à-dire de Formes- le social
devenant la forme suprême de nos aspirations privées et
collectives. Car je conçois l’accomplissement
esthétique sous la forme (toujours !) d’une
prière enfin réalisée, et le divin comme
incarné dans son effet.
Vous voyez en somme, mon Père, que la bonne parole n’est
jamais perdue… Laissez moi vous remercier encore et vous prier
de bien vouloir agréer l’expression de mes sentiments les
plus distingués.
Maxime NEMO