MAXIME NEMO
ESSAYISTE (Saggista)
Extrait
de la " NUOVA RIV1STA " de ROME
Décembre 1958
VIII' Année Numéro 5 - 6
DE GIUSEPPE SORGE
LUÇON
Imprimerie H. REZEAU
1959
MAXIME NEMO ESSAYISTE
Il a présenté à ses auditeurs français,
appartenant souvent à l'élite universitaire, au
cours de cinq lustres d'une activité ininterrompue, une image de
la Tragédie humaine. Ceci à l'aide de conférences,
accompagnées de lectures dramatiques, d'Eschyle à
Paul Valéry en passant par les grandes figures touchant au
patrimoine de la littérature française.
En particulier, de 1930 à 1933, il consacre des études et
des manifestations à la Tétralogie de Richard Wagner.
Comme écrivain (1), il prépare trois ouvrages : « Occident, terre de l'Homme », « L'héritage de Rousseau » et « Aphorismes momentanés ».
Il est, depuis plusieurs années, le secrétaire
général de l'Association Rousseau de Paris ; et,
l'année dernière, il publia « L'homme
nouveau,J.J.Rousseau » aux éd. de la Colombe, Paris.
Cette année, lors de sa venue en Italie. ce sont des cours sur
le rousseauisme qu'il présente à Naples,Rome,Florence,
Bologne. Turin et Verone, avec le thème : « Actualité de
Rousseau » qui résume l'humanisme actuel.
Son oeuvre de 1957. sur Rousseau, se trouve aussi en Italie et fixe
l'attention des amateurs, car s'il existait de nombreuses et
remarquables études sur l'influence exercée par les
ouvrages de Rousseau sur l'évolution des idées el la
morale contemporaine. on n'avait toutefois insuffisamment
insisté sur l'influence de : l'homme Rousseau sur cette évolution même.
[1] Un Dieu sous le tunnel (Rieder 1929).
[2] Julot gosse de rêve » (Rieder 1931).
L'auteur (Maxime Nemo) « établit
dans ce livre la liaison intime qui existe entre la
sensibilité de Rousseau, soumise à de douloureuses
et secrètes particularités, et celle de l'époque
qui est le produit de ce que Maxime Nemo appelle « la
désintégration du type gréco-romain ». On
comprend alors pourquoi Rousseau, incarnant cet état nouveau de
sensibilité, est devenu pour ses contemporains le
libérateur de leurs antagonismes inconscients, et pour le
XIXè et le XX'è siècles. une sorte
d'archétype de la sensibilité moderne ».
Dans l'agonie d'un ordre apparaît l'Orphée du monde nouveau. par le « retour à la Nature
». c'est à dire la profonde connaissance que l'homme
acquiert de lui-même. L'effort humain consiste à
dominer le « Moi », de sorte que l'homme arrive à
découvrir ses propres ressources et à rejeter le mal
qui le déchire. L'intégrité du « Moi »
augmente l'infériorité de la vie. Rousseau a
quitté Paris parce que «dans
le tourbillon de la grande société, dans la
sensualité des soupers, dans l'éclat des spectacles, dans
la fumée de la gloire... » (Conf., livre IX) la
connaissance plus profonde de soi-même lui était rendue
impossible. Au contraire, les sollicitations de la
méditation donnent naissance à une source
d'énergie à laquelle il est impossible de
résister, et qui veut que le « Moi » tende à
s'affranchir des formes diverses d'oppression. L'homme, face à
la connaissance de son
"Moi", se développe ; tout semble s'épanouir par l'effet
du retour à la nature. Dans l'ivresse de la vie, celle-ci
s'abrite dans une généreuse solitude de forces nouvelles
et salutaires. Et, dans cette solitude, l'individu est un être
qui pense à autrui. C'est de cette manière que Nemo
interpréte la vie de Rousseau qui tente d'intensifier
l'existence en l'amalgamant à celle des autres. Par son
retour à la nature, pur l'affranchissement des conventions et la
connaissance intime de soi-même ; J.-J. Rousseau, en effet,
écrit l'Emile et le Contrat Social.
Son souci est continuel, qui l'incite à frayer la voie à
un plus grand développement du « Moi » et
révèle son intention la plus profonde : l'accroissement
du sens collectif se subordonne à une constante
amélioration de l'individu. Donc. c'est par la connaissance
plus profonde de soi-même que peut s'obtenir une
amélioration de la société.
Alors. le pivot de toute activité humaine devient, pour
Rousseau, une vocation. Le « Moi » découvert, il
convient de développer la vigueur profonde et pure, susceptible
de procurer à l'homme la possession parfaite de son
affirmation et de sa capacité. Seule, par conséquent,
l'intensité du « Moi » peut donner sa mesure
à la nouvelle humanité, en lui conférant la
force du développement de la vie. Et, pour réaliser la
grandeur de ce principe, l'homme se doit de n'accepter aucune
forme de servitude, estimée superflue. Voilà qui lui
fournira la jouissance d'une liberté qui, sur certains
points, est remarquable. Quiconque se laisse écraser par les
conventions, en imposant des bornes à son « Moi ».
est certain de devenir l'esclave de la plus abjecte des servitudes ;
alors que l'approfondissement du « Moi » personnel
permet d'affronter les remous du « Moi » social et d'en
développer ses ressources. L'édification progressive de
notre personne procède de celle base et incarne fie nouvelles
positions.
Par ailleurs, la présence en Rousseau de passions multiples
et de toutes espèces donne leur sens aux grands ouvrages
qui naquirent dans la solitude de Montmorency. Rousseau
représente cette « révolution permanente
» qui sera la condition de l'homme du XIXe el du XX'
siècles. En lui repose le sentiment de l'humanité
future. Il découvre en lui la prodigieuse force qui le porte
vers cet homme « futur » qui s'efforce de naître ; c'est en lui que germe le sens de l'avenir. Son « Moi » replié sur lui seul, désormais domine son problème, afin d'embrasser « l'homme général
» tel qu'il apparaissait alors ; et si les puissances dogmatiques
accablent l'auteur du Contrat Social, c'est qu'il incarne
l'âge de la révolte. dont il est le premier
porte-étendard. En lui réside la conscience de ce que
sera la pensée humaine, Nemo découvre enfin que le
nom de Rousseau. théoricien d'un équilibre social dont
notre époque est loin d'avoir saisi le sens, s'effacera
probablement de la mémoire des boulines quand l'individu se
sera acheminé de l'affranchissement intérieur. aux soucis
de sa condition existentielle. A la page 176. on lit :
« Si
l'Existentialisme est, dirai-je, le résultai pensé de
l'existence. sa source est en ce point, et non en Kierkegaard qui ne
peut être que disciple. Jean Jacques va plus loin que celui-ci,
car la solitude, loin de l'inquiéter. le réjouit : il
sait qu'en elle tout réside ; el n'écrirait certainement
pas
- « Combien se serait
affreux, an jour du Jugement, quand toutes les âmes reviendront
à la vie. de me tenir là tout seui. solitaire et inconnu
de tous, de tous..." (Kierkegaard)
Combien est plus totale l'attitude de Jean Jacques !
L'expérience lui a fait tracer un sillon qui ne conduit
qu'à ce but : soi ; le soi-même devenant
instantanément le tout : sans rien d'autre et sans la plus
infime appréhension qu'une telle solitude pourrait
engendrer. Au contraire, on ne sait quel ravissement puissant
surgit an moment même où lperception du" Moi" enfin
donné à sa dimension possible, est atteinte ou réalisée
». Le maximum d'existence se concrétise en ce pouvoir qui
la contient ; que rien ne peut atteindre ni
éteindre,lorsqu'il est institué. La plénitude
obtenue produit sa conséquence, dont il convient, encore une
fois, de signaler la divergence avec l'idéal de l'homme
précédent :- - «
Le sentiment de l'existence dépouillé de toute mitre
affection est par lui-même un sentiment précieux de
contentement et de paix qui suffirait, seul, à rendre celle
existence chère et douce à qui saurait écarter de
soi toutes les impressions sensuelles et terrestres qui viennent sans
cesse nous en distraire et en troubler ici-bas la douceur » (J.-J Rousseau).
Donc, une vision existentielle de la vie individuelle, qui
pénètre, de sa sphère d'action, dans la
société ; voici l'interprétation de Rousseau
que nous donne Maxime Nemo. Mais sentir la plénitude de sa
propre existence, de sa propre activité, est un
élément positif de la vie ainsi que nous la
comprenons aujourd'hui, et comme la considèrent la plupart
des pédagogues contemporains, attentifs à l'observation
du dynamisme qui pousse l'individu à surmonter
l'inconscient, pour qu'il parvienne à l'authenticité de
ses propres actions ; de même qu'ils veulent établir la
vie des peuples sur des bases nouvelles. Bien loin de nous
déplaire, cette vision, vibrante de lyrisme, est l'un des
problèmes humains touchant directement à la
pédagogie.
Traduction française de l'auteur
Giuseppe SORGE