L’anticléricalisme
A François Mauriac
En réponse à l’article paru dans le Figaro du 8 juin 1948
Il peut paraître pénible à un esprit simplement
honnête de voir l’importante question de la
Laïcité traitée par un homme de votre plan selon les
procédés de maquignonnage électoral le plus
pratiqué. Ne disposant d’aucun organe, permettant une
controverse digne de la question, laissez moi l’envisager
d’homme à homme, et, si la chose est possible en un
tel domaine : de loyauté à loyauté.
Le monde des hommes est régi par deux courants de pensée
dont l’un : occidental, est le seul à qui le
terme : humain donne une signification caractéristique.
Là, l’esprit dominé par des soucis de
sociabilité effective, tend à fournir à la
fonction collective sa représentation symbolique. L’Homme,
dirions nous, y est constant depuis son apparition
jusqu’à sa disparition ; peut-être
conviendrait-il d’affirmer : l’Homme y est visible.
C’est ce besoin de consécration humaine
qu’Athènes et Rome opposent à l’orient. La
consécration sociale abandonne le caractère magique
provoqué par l’influence mystique et parvient
à cet état de magistrature institué par une
délégation ne relevant que de l’homme et des
soucis sociaux. A Rome, l’Empereur, bien qu’absolu, ,
n’est cependant qu’un citoyen suprême en qui
l’esprit de la république, fondé sur le souci
des autres citoyens se concentre, pour se résumer.
Une société à fonction laïque existe
déjà ; société que
l’apparition du premier Christianisme ne cesse de ronger
insidieusement, au nom de cet illuminisme mosaïque dont il est
plein.
Ce point d’histoire ordonne tout le comportement occidental.
Après la plongée dans l’obscur que la disparition
de l’Empire mais non de l’esprit romain provoque, le monde
gothique, non seulement contiendra, mais, chose étrange
entretiendra la survivance de cet état seulement rationnellement
humain. Lentement, mais passionnément, les légistes, les
hommes de loi, les penseurs, éduqués à
l’ombre de cet esprit sacerdotal, empruntant au mystère
son essence et ses formes, achemineront la faculté sociale vers
un achèvement civique, indépendant de toute filiation
à tendance mystique. Irrésistiblement le fait social est
arraché, pour cette raison et uniquement pour elle à
l’emprise cléricale, pour être promu à sa
destinée uniquement terrestre.
Que ce qui fut obtenu pour le Politique, le soldat, le magistrat
n’ait pas été étendu au principe
éducatif en dit long sur le non accomplissement de
m’idée révolutionnaire de 1789.
En tout cas, c’est en ce point que se rencontre le nœud de
la question, Monsieur, et non dans la disparition, ou la survivance, de
notre socialisme décadent.
Mais l’Eglise qui a tant cédé de sa
suprématie temporelle, défend, avec quelle
âpreté, ce suprême et dernier vestige d’une
domination qui se vit absolue. Elle refuse d’admettre ce
qu’elle fut contrainte de consentir en tant d’autres points
de la communauté sociale ; et elle tente de conserver ce
lambeau de participation à la fonction sociale à
l’aide de moyens que vous vous gardez
d’évoquer ; soit que vous ne les ayez pas
présents à l’esprit, soit que pour le
chrétien, l’oubli de certaines hontes reste indispensable
à l’absence de rigueur de l’argumentation.
L’histoire n’est cependant pas ancienne. En 1940, profitant
au sens le plus lâche du terme, de circonstances nées de
notre désastre, l’Eglise tenta de faire rejaillir sur cet
esprit laïc, que vous taxez si superficiellement
d’anticléricalisme, la responsabilité d’un
événement imputable à une faiblesse
générale, et non particulière.
L’esprit clérical a choisi cet instant et exigé du
fantoche vichyssois, dont les sept étoiles répandirent
tant d’ombre en ce pays, la condamnation de ces Ecoles Normales
(et de l’Université entière) qui étaient en
effet la seule œuvre judicieuse accomplie, dans le domaine
éducatif par la IIIe de nos Républiques. Je
désirerais savoir si « l’angoisse
métaphysique » à laquelle vos lignes
d’hier font allusion, donne naissance à un pouvoir de
haine si parfaitement odieux ? Il serait salutaire pour la simple
information de vos lecteurs habituels, qu’un article prochain les
renseigne sur la permanence depuis 150 ans, d’une
incompréhension en train de devenir traditionnelle. Je pourrais
vous documenter si vous le désirez, et vous rappeler puisque
vous paraissez l’avoir oublié, que cette condamnation
obtenue ne calme pas l’esprit de revanche d’un
clergé ulcéré par tant de mésaventures
électorales. Une véritable vocifération retentit
du haut de la chaire de tant d’églises des villes et des
campagnes, ceci, avec la complicité, latente, des forces
occupantes. Faut-il rappeler le nombre des gens poursuivis et
révoqués à cause d’opinions ne relevant,
probablement pas d’angoisse métaphysiques ?... Il est
infiniment pénible, Monsieur, de voir mêlés
à un débat qui relève d’un tel état
d’esprit, les grands noms humainement purs qu’imprudemment,
vous jetez dans la bagarre : ceux de Saint Augustin et de
Pascal ! Les morts servent à tout, hélas, et
même, sous votre plume, à étayer une argumentation
de démagogie, qui n’est que cléricale et pas du
tout religieuse.
Je dois ajouter qu’il est des prélats que cette
démagogie indigne. En ce pays, précisément,
où vient de surgir la récente agitation,
l’année 1942 ou 43, l’évêque de
Luçon, d’accord avec l’un de mes amis alors
Inspecteur d’Académie dans le département de la
Vendée, voulut interdire la circulation de je ne sais quelle
publication injurieuse pour l’école publique.
L’événement se heurta au fanatisme de ses
desservants et ne put obtenir satisfaction. C’est à cet
état d’esprit, que vous prêtez le prestige de votre
nom.
Vous voyez qu’un article nouveau s’impose, si vous
désirez que votre position personnelle reste située au
degré où certaines de nos lectures ont eu la joie de la
maintenir.
Maxime NEMO