RAPPEL A L’ORDRE
Certains, déjà
constitués en groupes d'admiration mutuelle, se cherchent des ancêtres : Péguy, Bloy,
Bernanos. De quoi brouiller les pistes... Derrière leurs cibles de
prédilection (le laxisme moral, les nouveaux barbares, le droit-de-l'hommisme,
etc.) se profile en effet une nouvelle synthèse idéologique de combat contre
tous ceux qui, de près ou de loin, auraient contribué à dissoudre l'État
souverain dans le marais des droits individuels, la Nation dans le grand
bouillon euro-mondialiste, le peuple dans la société civile et la culture dans
le jeunisme multiethnique.
Au fond, ce qui gît
au coeur de cette nouvelle sensibilité et cherche confusément sa formulation
conceptuelle depuis quelques années, c'est un nouveau jugement de la démocratie.
Un procès en appel, pourrait-on dire (tant l'affaire est ancienne et semblait
entendue), non pas contre la démocratie en général, mais contre cette version
prosaïque, humaine trop humaine, que caractérisent l'acceptation du système des
partis, l'attachement à l'État de droit, le souci de l'individu et de ses
droits et l'acquiescement à l'économie de marché ainsi qu'au pluralisme de
l'information. Il est vrai qu'une certaine pratique des institutions de la V'
République — les « années Mitterrand » en particulier — a pu nourrir un certain
désarroi. Mais ce désarroi a été souvent l'occasion de se laisser porter par
des tropismes archaïques, où resurgissent les images d'Épinal de l'« illibéralisme » français. Au fond de
cette nouvelle pensée, flotte le fantôme d'une politique héroïque, lestée par
l'histoire des nations et fascinée par la représentation d'un peuple un et
indivisible ; une démocratie, peut-être, mais qui n'a jamais paru sur terre.
Invoquer les ombres de Robespierre ou du général De Gaulle n'y change rien: ce
fantasme récurrent condamne ses zélateurs, comme par le passé, soit à la
frustration, soit à la dérive vers des rivages plus incertains.
Face à cette
politique héroïque, ivre d'événements, de décisions fortes et de fondations
dramatiques, la démocratie qu'il conviendrait de défendre aujourd'hui est
certes moins épicée, mais sûrement plus durable. Elle ne se réduit pas à la
souveraineté populaire, mais y ajoute le respect de l'État de droit, de la
Constitution et des droits de L'homme. Elle ne se réduit pas non plus à une
pure organisation des pouvoirs, mais constitue aussi une forme de société et un
«état des mœurs », pour parler comme Tocqueville,
auxquels rien n'est plus étranger que la morgue d'élites intellectuelles
fustigeant la vulgarité des masses et la médiocrité des temps.