Le procès du «
droit-de-l'hommisme »
Si certains
penseurs français des deux dernières décennies ont consacré des efforts à
fonder philosophiquement les droits de l'homme, combien plus nombreux sont ceux
qui de Pierre Manent à Alain Badiou se sont employés à montrer
leur inconsistance, leur mièvrerie, et surtout le fait qu'ils asphyxient la «
politique » parce qu'ils sont un alibi ou un leurre. Si on ne les accuse plus
de faire obstacle aux « droits sociaux» (vieil argument marxiste), reste le
soupçon de vouloir occulter les droits du citoyen (Rousseau se porte mieux que Marx!),
ou encore le droit des peuples. Bref, brocarder le « droit-de-l'hommisme » est
désormais de bon ton.
Il faut cependant
observer qu'attaquer le principe même des droits de l'homme n'est pas
aujourd'hui une entreprise aisée. Le souvenir des dissidents de l'Est et
l'exemple de ceux qui se battent au nom de ces droits contre les dictatures
encore en place expliquent cette difficulté. Mais il y a aussi une certaine
confusion conceptuelle dont profitent ceux qui mettent en cause, non pas ces
droits dans leur principe, mais la supposée prolifération de leurs dérivés
(droits-créances, droits des minorités, voire droits des animaux et de la
nature, etc.) au point d'annihiler les souverainetés nationales ou populaires
au profit d'une sorte de gouvernement mondial occulte des juges, des experts,
des philanthropes humanitaires et autres « élites mondialisées ».
40.H. Algalarrondo,
la Gauche contre le peuple, op. cit.
41. Jean-Claude
Michéa, préface à la réédition de « la Culture du narcissisme »,
Castelnau-le-Lez,
Climats, 2001.
Tout ceci repose en
grande partie sur des amalgames, et il faut bien le dire, sur une certaine ignorance.
Il convient sans
doute pour commencer de ne pas confondre les critiques qui voudraient que les
droits humains soient plus universels, plus effectifs qu'ils ne le sont dans la
pratique, et ceux pour qui le langage même du droit ou des droits n'est
qu'hypocrisie dissimulant la réalité de la domination. Ce sont ces derniers qui
n'hésitent pas à flirter avec un langage dont il ne mesure peut-être pas toutes
les connotations, et à parler de « droit-de-l'hommisme
»
(tour emprunté à la
polémique d'extrême droite, mais qui se banalise) pour déconsidérer, entre
autres, les interventions internationales en faveur des peuples opprimés
(ex-Yougoslavie, notamment).
Sur le fond, rien
de nouveau. Joseph de Maistre pour
sa part se gaussait déjà (en 1797 !) de ces êtres étranges qui s'obstinent à
chercher un « homme » introuvable,
alors qu'on ne rencontre, dans le monde réel, que Français, Russes, Prussiens,
Chinois, etc. Le « droit-de-l'hommiste »
aujourd'hui s'entête pareillement dans cet humanisme abstrait, qui lui fait
chercher l'universel là où il n'y a que du particulier, et des droits
individuels là où seuls comptent les égoïsmes nationaux. C'est la raison pour
laquelle les républicains « des deux
rives » (certains préfèrent dire désormais nationaux-républicains, ce qui
est plus clair) ont soutenu sans états d'âme les pires tyrannies, pourvu
qu'elles fissent preuve d'indépendance vis-à-vis de « l'impérialisme »
(américain, cela va sans dire). Le droit-de-l'hommisme, selon ces bons apôtres,
est une invention américaine (en 1919, on n'hésitait pas à parler de «
politique protestante » à propos du wilsonisme). Son but est de détruire
l'identité culturelle des peuples (Barrès disait : de les « déraciner »), etc.
De leur côté, Houellebecq ou Muray ne cessent de
ridiculiser les « crétins » (ou mieux encore, les « bas-bleus ») qui n'ont que
ces jeux de langage politiquement corrects à la bouche: On est en démocratie... Elle s'énervait elle aussi, je sentais qu'elle
n'allait pas tarder à évoquer les droits de l'homme. Au mot de démocratie,
Bredane lui avait jeté un regard légèrement méprisante...
Parlant à la
première personne, Maurice Dantec
est encore plus clair: Je ne suis pas du genre, on le sait, à fleurir sans
cesse ma bouche des douces épithètes que l'antiracisme institutionnel a
désormais pontifiées. Tolérance. Egalité. Fraternité. Droits des peuples.
Droits de l'homme. Toute cette vieille brocante que la Révolution française
nous aura léguée, entre autres abominations, ne fait pas partie de mon
patrimoine intellectuel';.